Interpellation : De l’arbitraire dans l’octroi des droits politiques

Le 17 août, la Municipalité de Lausanne a communiqué qu’elle avait débouté un couple de candidat-e-s à la naturalisation le 5 juillet de la même année, au motif que celui-ci refusait de serrer la main et rechignait à répondre aux questions des commissaires de sexe différent. Le Syndic Junod confirmait alors cette décision, invoquant le principe constitutionnel de l’égalité entre hommes et femmes comme motif pour établir un déficit d’intégration de ces personnes. De son côté, le Municipal Pierre-Antoine Hildbrand précisait : « Il me semble que la religion est la seule explication rationnelle au comportement de ces personnes. »

En préambule, il faut rappeler que la nouvelle loi fédérale entrée en vigueur au 1er janvier 2018 durcit déjà considérablement les conditions d’octroi de la nationalité suisse – en matière de connaissances linguistiques notamment – et retire aux communes la possibilité de juger le ou la candidat-e sur d’autres critères que celui de la « bonne intégration. » Cette dernière disposition renforce de fait le caractère arbitraire et très subjectif de l’octroi de la nationalité, puisque que la loi ne précise pas les éléments objectifs qui permettraient de juger de cette bonne ou mauvaise intégration.

Rappelons également que, dans le cadre du processus de naturalisation, la position des membres de la Commission des naturalisations du Conseil communal n’a une valeur que consultative. En définitive, c’est à la Municipalité que revient le pouvoir de décider ou non de l’octroi d’un préavis favorable.

Aussi, il y a lieu de préciser que, s’agissant de candidat-e-s à la naturalisation, nous parlons en grande partie de citoyens et citoyennes de la ville, c’est-à-dire des personnes qui exercent déjà leurs droits politiques sur le plan communal, indépendamment d’une quelconque appréciation de leurs mœurs, leurs morale ou leur comportement.

Nonobstant les conditions particulières de l’audition qui a été rendue publique, cette décision de la Municipalité a vocation à s’appliquer à d’autres cas et soulève dès lors plusieurs problèmes liés à l’arbitraire dans l’octroi de la nationalité aux personnes qui en font la demande.

Premièrement, faire du refus de serrer une main d’une personne de l’autre sexe un motif pour refuser la nationalité est arbitraire : selon la composition de la Commission, le ou la candidat-e ne sera peut-être pas soumis à cette vérification (en cas de présence exclusive de commissaires du même sexe) ; le refus de serrer une main peut tout à fait être lié à d’autres raisons que culturelles ou religieuses.

Si l’introduction du principe d’égalité entre homme et femmes ancré dans la Constitution fédérale constitue un acquis essentiel des luttes féministes en Suisse, en faire un critère d’octroi de la nationalité n’a rien d’évident et pose au contraire de sérieux problèmes, tant juridiques que politiques. Relevons d’abord ce principe d’égalité n’empêche pas des milliers de personnes, Suisses ou non, naturalisées ou non, de reproduire, d’alimenter voire de légitimer des comportements sexistes ! L’existence de ce principe n’empêche par ailleurs nullement les inégalités hommes-femmes d’exister dans de nombreux domaines tels que les salaires, l’accès au chômage, la répartition tes tâches familiales et domestiques ou encore dans le service militaire ou les institutions religieuses. Or, si ces inégalités doivent être combattues, il faut faire le constat, bien regrettable, que celles et ceux qui les véhiculent font souvent l’objet d’une « bonne intégration. » Autrement dit, le combat contre le sexisme et les comportements qui en découlent doit être mené avec force sur bien des fronts, mais ces derniers ne sauraient interférer dans un processus de naturalisation d’un homme ou d’une femme, ou alors on devrait qualifier tous les citoyens suisses qui ont des comportements sexistes de « mal intégrés » et menacer de leur retirer en conséquence leur passeport !

Il en va de même pour les fondamentalismes religieux. Si les soussigné-e-s combattent avec force toutes opinions ou comportements rétrogrades ou obscurantistes, on ne saurait en faire un critère de bonne ou mauvaise intégration. Qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, les intégristes sont nombreux et très largement composés de personnes ayant la nationalité suisse. Entend-on retirer leur passeport aux partisans d’Ecône, de la Fraternité sacerdotale St-Pie X, sous prétexte qu’ils portent quotidiennement atteinte au principe d’égalité entre les sexes ? Ou encore à tous les fidèles chrétiens, musulmans ou juifs qui pratiquent un culte séparé entre hommes femmes ?

Plus généralement, on voit ici à quel point le critère d’une bonne intégration lié à ce type de comportement ne peut échapper à une large part d’arbitraire. D’aucuns invoquent la poignée de main, quand d’autres prétextent la méconnaissance de l’héraldique locale. Au risque d’ouvrir une vraie boîte de pandore dont on ne sait trop ce qui en sortira, selon les régions et les majorités politiques en place.

Dans cette situation et vu l’importance du sujet pour des milliers de Lausannoises et de Lausannois, il nous apparaît légitime de questionner en urgence la Municipalité sur les critères d « bonne intégration » qu’elle entend mettre en œuvre.

Les soussigné-e-s posent les questions suivantes à la Municipalité :

  1. Quels critères la Municipalité entend-elle utiliser pour juger de la bonne ou mauvaise intégration d’un-e candidat-e à la naturalisation ?
  2. En particulier, la Municipalité va-t-elle continuer à faire de la poignée de main un motif pour refuser l’accès à la nationalité ?
  3. La Municipalité peut-elle préciser sa position générale en matière de naturalisation ? Est-elle favorable à l’instauration d’un droit du sol et en conséquence à la suppression de ce critère particulièrement subjectif et arbitraire de « bonne intégration » ?

Lausanne, le 25 août 2018

Pour Ensemble à Gauche
Pierre Conscience
Céline Misiego