Socrates : footballeur et philosophe / Spécial le foot est populaire !

Le livre d’Andrew Downie, Docteur Socrates: Footballeur, philosophe et légende (Solar, 2017), revient sur une légende du football brésilien, Socrates. Si le premier et le dernier attribut du titre ne font pas l’ombre d’un doute chez les amateurs de football, le deuxième demeure méconnu. L’auteur laisse de côté la facette désormais incontournable du sportif pour mettre en lumière le philosophe et l’homme politique.

En 1981, en pleine dictature militaire, le Brésil connaît une expérience politique sans précédent dans l’histoire du sport. Le football est alors sous le joug de la junte au pouvoir. Le régime l’utilise à des fins de popularité et de paix sociale, faisant sien le dicton «Du pain et des jeux », tout en maintenant une pression économique très violente sur les joueurs. Ce qui fera dire à Socrates, à la télévision brésilienne, que « quatre-vingt-dix pour cent des joueurs ont une condition de vie inhumaine. Soixante-dix pour cent gagnent moins que le salaire minimal. Si les joueurs l’acceptent, [les dirigeants] sont paternalistes. Sinon, ils sont autoritaires. »

Autogestion et démocratie corinthiane

Pour que l’histoire de Socrates homme politique naisse, il fallait l’intervention d’un heureux événement. Il intervient en 1981, lorsque la présidence du club des Corinthians est remise entre les mains d’un ancien universitaire contestataire aux opinions socialistes tranchées, Adison Monteiro Alves. Ce dernier propose alors aux joueurs de prendre en main leur destin et de participer démocratiquement aux décisions qui concernent la vie du club. C’est dans ce contexte de reprise collective que Socrates sort de son rôle de grand sportif pour endosser celui d’homme politique. D’abord favorable à la dictature militaire, il finit par être l’un des instigateurs puis leader de ce mouvement autogestionnaire qu’on appelle démocratie corinthiane, au côté de Zé Maria et de Wladimir et Walter Casagrande. «Nous voulions dépasser notre condition de simples joueurs travailleurs pour participer pleinement à la stratégie d’ensemble du club. Cela nous a amenés à revoir les rapports joueurs-dirigeants. Les points d’intérêt collectif étaient soumis à la délibération.» (Libération, 2011), dira Socrates. Son statut d’homme issu de la classe moyenne et son érudition le faisaient dénoter dans ce milieu, lui conférant l’opportunité et la responsabilité du mouvement. Cette exaltation démocratique le poussera à rejoindre le mouvement Diretas Ja, mouvement politique brésilien exigeant la fin de la dictature et des élections présidentielles directes au suffrage universel.

Un sportif d’exception

Si Socrates reste comme la figure de proue de la démocratie corinthiane, c’est parce qu’il était aussi un sportif d’exception. L’alcool et la folie des grandeurs ne l’ont pourtant pas aidé. Il lui arrivait souvent d’organiser des repas entre amis et coéquipiers, parfois même à la veille d’un match. Cette attitude rebelle, qui nous rappelle George Best ou Eric Cantona, est contradictoire à l’image que l’on a aujourd’hui du footballeur ou du sportif idéal, mais elle ne l’a pas empêché d’avoir une carrière extraordinaire.

C’est lors de la Coupe du monde 1982 que son talent explosa aux yeux du monde entier. Capitaine de la sélection brésilienne pour l’occasion, Socrates restera dans les mémoires des amateurs de football pour ses gestes fabuleux et ses buts décisifs contre l’Italie et l’URSS.

S. Burion