Initiative Soins Dentaires : questions à Bernard Borel – pédiatre FMH à Aigle

Tu es membre du comité d’initiative depuis le début, en quoi la création d’une assurance publique pour le remboursement des soins dentaires est une petite révolution ?

C’est peut-être une révolution en Suisse, mais c’est déjà une réalité dans les pays qui nous entourent, que cela soit l’Autriche, l’Allemagne ou la France, qui ont pourtant un système de financement des soins très différent les uns des autres. C’est enfin reconnaître que la santé buccale est un élément essentiel de la santé : qui aurait idée d’exclure le coeur ou les poumons des soins remboursables ?

C’est, de plus, une revendication historique de la Gauche en Suisse, puisque l’initiative pour une assurance maladie pour tous du PS rejetée en 1974, avait inclu les soins dentaires dans le catalogue de prestations remboursables. Le Conseil Fédéral l’a même proposé dans son projet de loi sur l’assurance maladie et maternité (LAMM), rejeté par le peuple en 1987, attaqué en fait davantage sur la tarification médicale et le principe d’assurance maternité que sur le remboursement des soins dentaires. C’est donc remettre les soins dentaires à leur juste place, à un moment où de plus en plus de gens y renoncent pour des raisons économiques : une personne sur 5 selon une étude faite récemment à Genève  par une équipe médicale des HUG.

En tant que pédiatre FMH, je suppose que tu vois de par ta profession l’importance de mettre en place une telle initiative ?

Oui, d’abord parce qu’elle consolide le volet de la promotion de la santé buccale et de la prévention des caries qui porte déjà ses fruits. Elle permet aussi que les soins dentaires soient accessibles de manière équitable sur tout le canton. En effet, actuellement,  on observe mieux que pour d’autres pathologies, combien les déterminants sociaux sont importants dans la santé buccale : dit autrement, on peut assez aisément, à âge égal, déterminer le revenu familial, en fonction de l’état des dents. Il y a une injustice profonde que cette initiative tend à effacer.

D’après toi, pourquoi c’est si compliqué pour le corps médical et en particulier les dentistes de prendre publiquement position sur un tel projet ?

En réalité cela est moins compliqué qu’on le dit puisqu’une soixantaine de médecins ont, à ce jour, déjà signé l’appel pour soutenir cette initiative. Les médecins de santé publique et ceux qui s’occupent des populations vulnérables sont en principe favorables. Ceux qui sont en pratique libérale, qui se sentent attaqués de partout, ont probablement assez à faire pour essayer de défendre une santé de qualité, alors que régulièrement le catalogue des prestations remboursées par la LAMAL est mis à mal. Ils sont en plus actuellement peut-être un peu trop centrés sur la révision du TARMED, sur lequel ils n’ont pas pu s’entendre avec les assurances et sur lequel le Conseil Fédéral a pris des décisions discutables tendant à limiter le temps consacré à chaque patient. Ils ont fort à faire avec un lobby des assurances très écouté au Parlement fédéral.

Quant aux dentistes, ils sont fidèles à eux-mêmes, eux qui se sont opposés au remboursement des soins dentaires depuis le début. La Société Suisse d’Odontostomatologie (SSO) a toujours  défendu l’idée de la prévention des caries par la responsabilité individuelle, en se brossant les dents et/ou en assumant l’intégralité des coûts des soins si négligence. Dans le même esprit que les fumeurs, les obèses, les anorexiques, qui par leur comportement portent atteinte à leur santé, devraient être sanctionnés, comme certains parlementaires fédéraux l’ont suggéré ! Les dentistes actuellement peuvent pratiquer les tarifs qu’ils décident, sans aucun contrôle social et n’ont pas d’avantages directs à des remboursements socialisés.

La Droite, les milieux économiques et patronaux accusent les initiants de vouloir mettre en place une  assurance  qui videra les caisses de l’Etat. Que réponds-tu à cela ?

C’est mal venu, au moment où les pouvoirs publics se portent particulièrement bien avec un canton qui n’a pratiquement plus de dette et alors que ces milieux défendent bec et ongles l’introduction de l’application de la RIE3 cantonale, qui diminue les impôts des grandes sociétés, et donc les rentrées fiscales. Ils omettent aussi de dire que les frais seront principalement financés par un % sur les salaires (0.5 par le salarié et 0.5 par l’employeur), donc financé solidairement par la population.

Et je voudrais citer JJ Rousseau dans le contrat social qui disait : Entre le faible et le fort, il y a la liberté qui opprime et la loi qui libère.

Cette initiative n’est pas révolutionnaire ni irréaliste. Elle répond à un impératif de justice sociale et sanitaire.