Démocratiser l’école !

Dans son fonctionnement, l’école valorise naturellement les enfants qui disposent déjà d’une culture académique par leur milieu familial.

Karine Clerc
Municipale POP de Renens

Un enseignant m’avait un jour fait remarqué que l’école s’adresse avant tout aux parents, cherchant à les mobiliser et regrettant souvent le fait que « ceux qui en ont le plus besoin ne viennent pas aux séances organisées tout spécialement pour eux.. ». Ce constat mériterait qu’on s’arrête un peu plus sur la dimension sociale des inégalités, et peut-être, qu’on remette l’enfant au cœur des apprentissages. C’était justement le thème du congrès cantonal du POP. La journée s’est ouverte avec une conférence du sociologue Christophe Delay, qui a montré comment l’institution scolaire reproduisait les inégalités sociales. Si l’école tend à renforcer les inégalités, c’est qu’elle s’appuie largement sur le capital culturel des élèves, qui lui vient des familles. Les classes populaires sont d’emblée disqualifiées.

Depuis que l’école est devenue universelle, elle s’appuie sur l’idée d’une égalité des chances. La frontière entre les mondes professionnels (de l’usine aux professions libérales) est certes moins nette qu’elle ne l’était au 19ème siècle. Toutefois, l’universalité de l’instruction publique ne signifie pas vraiment égalité des chances.

Dans son fonctionnement, l’école valorise naturellement les enfants qui disposent déjà d’une culture académique par leur milieu familial. Ces éléments sont démontrés par une plus forte tendance au redoublement dans les classes populaires que chez les enfants ayant des parents cadres. Ces mêmes enfants se retrouvent également plus souvent dans les filières préprofessionnelles que dans les filières prégymnasiales. Ce sont également les enfants issus des classes populaires qui peinent à terminer une formation. A ces éléments s’ajoute la question de l’indiscipline, interprétée comme un manque d’intérêt pour l’école de la part des élèves. Si, comme le suggère Christophe Delay, cette indiscipline était lue comme un mécanisme de défense, il serait légitime de se demander contre quoi elle s’érige ? Ne cherche-t-on pas à responsabiliser les enfants et leur famille, pour les désinvestissements ? Une fois encore, la question sociale est évacuée.

On entend souvent dire qu’on dévalorise l’apprentissage lorsqu’on tient ce discours. Toutefois, il importe de bien comprendre ce qu’on veut dire avec ces constats. Il n’est pas question ici de poser un jugement de valeur sur un quelconque choix professionnel, mais bien de questionner la répartition des élèves selon leur origine sociale, parmi les différentes voies professionnelles. Cette répartition s’opère tôt dans la trajectoire des élèves, et leur orientation ne relève pas d’un choix. En outre, celle-ci n’a pas seulement un effet sur les performances scolaires, mais également sur les relations entre pairs. L’organisation en différentes filières favorise peu les échanges, et les élèves partagent leur existence au milieu d’autres élèves du même niveau scolaire, et donc du même niveau social. Il pourrait pourtant être intéressant d’imaginer, comme c’était l’idée au début des réflexions sur la LEO, que certains cours et activités se déroulent de manière transversale. La géopolitique mondiale ou l’histoire, ou encore le civisme ne sont-elles pas des matières utiles et nécessaires pour l’ensemble des futures citoyen.ne.s que forme l’école ?

Cette conférence était la base d’une discussion plus large, que les participant.e.s ont menée en petits groupes pour élargir la réflexion et envisager quelques pistes d’action. Les différences sociales ne se manifestent pas seulement dans le cadre de la scolarité. Une situation précaire continue d’avoir une incidence sur la formation, tels que les difficultés à vivre du salaire d’un apprentissage, l’accès à une bourse d’études et plus largement, l’accès à une information sur les possibilités de soutien social. Un diagnostic de la situation des jeunes sur la fin de leur scolarité permettrait d’agir en amont et de limiter les risques de désinvestissement. Encore aujourd’hui, trop de jeunes sont détectés « sans formation » tardivement. Quelques années d’inactivité peuvent leur coûter cher, tant sur le plan personnel que professionnel.

Enfin, concernant le vivre ensemble, au-delà des différences sociales, il serait très positif de favoriser la démocratie participative dès l’école. Il s’agirait d’accompagner les enfants dans un processus qui les invite à proposer, réfléchir, débattre et décider des choses qui les concernent, tous ensemble. Cela permettrait d’une part, de favoriser leur participation démocratique et d’autre part, de leur donner envie d’agir sur leur environnement proche. Il n’est pas nécessaire de faire de grands projets : décider ensemble d’une décoration dans l’établissement, d’une sonnerie ou participer à l’organisation d’une fête peuvent suffire à générer une mobilisation commune, tout en laissant des traces visibles de ces expériences. L’objet de la participation est secondaire, par rapport au processus, qui vise à faire une expérience de la démocratie.

Ainsi, certaines actions pourraient déjà atténuer les effets d’une trop grande inégalité sociale : renforcer l’accès aux informations (ce qui implique d’envisager des moyens qui ne reposent pas uniquement sur la volonté exprimée des élèves), favoriser les processus démocratiques au sein de l’école, afin qu’elle soit également un lieu d’apprentissage de la démocratie et du débat public.

L’école doit offrir des espaces qui transcendent la dimension sociale des apprentissages, afin de permettre à chaque enfant de véritablement bénéficier d’une égalité des chances. Quel que soit leur milieu d’origine et leurs vocations futures.

Karine Clerc

Article du Résistance n° 107