Par David Payot, conseiller communal Lausanne

L’Accord Général sur le Commerce des Services

En date du 14.09.2004, Mme Andrea Eggli (POP & Gauche En Mouvement) déposait une motion, exprimant les risques de l’Accord Général sur le Commerce de Services (AGCS)[1] et demandant que Lausanne rejoigne les communes déclarées « hors zone AGCS ». Le site officiel de la Ville de Lausanne exprime ainsi le résultat cette motion[2] :

« Le 6 décembre 2006 déjà, le Conseil communal de la Ville de Lausanne déclarait Lausanne ville «hors zone AGCS». Il rejoignait ainsi les quelque 90 collectivités suisses qui ont pris la même décision et exprimé par ce choix symbolique leur crainte de voir mis en danger l’accès de la population aux services publics fondamentaux.

« A ce stade des négociations, la Ville de Lausanne réaffirme sa prise de position contre tout engagement préjudiciable au libre accès de la population à des services essentiels tels que l’eau ou l’enseignement public.

« La Municipalité approuve cependant la ligne de conduite adoptée par la Confédération dans le cadre de ces négociations. Si des mesures contraires aux engagements actuels du Conseil fédéral devaient toutefois s’imposer et menacer ainsi le service public communal, la Municipalité est prête à s’engager pour les combattre jusqu’à un éventuel référendum ».

 

Le Trade In Services Agreement

L’Organisation Mondiale du Commerce a connu des difficultés à développer les objectifs de l’AGCS. Les négociations se trouvent à présent reprises par une partie des Etats les plus motivés à faire avancer ces projets (dits « really good friends » ». Dans ce contexte, la Suisse se trouve impliquée dans la négociation du « Trade In Services Agreement » (Accord sur le Commerce des Services, TISA).

Plusieurs voix se sont élevées contre les dangers de ces démarches. Le manque de transparence des négociations, qui se déroulent à huis clos, est l’un des aspects relevés. La perspective de privatiser différents pans du service public et d’étendre le libre-commerce aux sociétés de services ne peut qu’inquiéter, parmi celles et ceux qui restent attachés au rôle de l’Etat pour assurer ses missions d’utilité publique. Il faut ajouter que TISA semble prévoir une libéralisation de tous les services, hormis ceux pour lesquels une exception aurait été explicitement inscrite par l’Etat contractant[3]. Comme l’accord contient aussi des clauses pour interdire toute « publicisation » des services privés, tout retour en arrière est empêché. Les procédures en cas de litige sont aussi critiquées : au lieu de recourir à des tribunaux nationaux ou internationaux, TISA prévoit des tribunaux arbitraux. Cette manière de privatiser la justice implique des procédures très coûteuses, et bénéficie souvent aux grandes entreprises occidentales, aux dépens des Etats en voie de développement[4].

Dans sa réponse à l’interpellation de la conseillère nationale Aline Trede (Ip14.3102), le Conseil Fédéral indique notamment que « Dans le cadre des négociations relatives au TISA également, la Suisse n’entend pas prendre d’engagements lorsqu’il existe des restrictions légales liées à l’accès aux marchés, comme par exemple dans les domaines de l’énergie (entre autre l’électricité), de l’éducation publique, de la santé, des transports publics ou en ce qui concerne la poste. Dans son offre initiale, la Suisse a veillé à ne pas prendre d’obligation en matière de rochet[5] en particulier dans les domaines évoqués ». Si la réponse du Conseil Fédéral peut paraître rassurante à plusieurs égards, elle n’empêche pas un certain nombre de craintes. D’une part, le risque de procédures devant un tribunal arbitral ne paraît pas écarté. D’autre part, en ce qui concerne les domaines soumis au libre­échange, il est possible de rappeler que la Ville de Lausanne assume différents services, directement ou par le biais d’entreprises en mains publiques, qui dépassent ceux évoqués par le Conseil Fédéral : traitement des déchets, fourniture en eau, chauffage à distance, téléréseau et connexion internet. Par ailleurs, des démarches ont lieu au niveau suisse pour libéraliser l’électricité[6] ; si le Conseil Fédéral exclut du champ de TISA les domaines où « il existe des restrictions légales liées à l’accès aux marchés », on peut craindre que l’électricité puisse être incluse dans TISA, facilitant encore la libéralisation et empêchant tout retour en arrière.

En conséquence, les soussignés posent les questions suivantes :

  1. La commune de Lausanne s’est­elle assurée auprès de l’administration fédérale que TISA n’impactera aucun des différents services publics de la commune ?

 

  1. Est­ce que TISA laissera la commune libre de mandater de préférence, dans le cadre de ses activités, des organismes locaux, offrant de bonnes conditions de travail ou respectueux de l’environnement ?

 

  1. La commune de Lausanne s’est­elle assurée qu’elle ne sera pas exposée à des procès devant les tribunaux arbitraux prévus par TISA ?

 

  1. La commune de Lausanne a­t­elle été sollicitée par des collectivités publiques, ou par d’autres organisations, pour exprimer auprès de la Confédération le soutien du service public face aux services privés ?

 

  1. La commune de Lausanne, en tant que ville hors zone AGCS, a­t­elle exprimé auprès des autorités fédérales son opposition à la libéralisation de services publics communaux ?

 

Lausanne, le 5 janvier 2014

 

David Payot

 

 

Annexe

Motion de Mme Andrea Eggli: «Lausanne ‹hors zone› de l’Accord général sur le commerce des services.

 

Développement polycopié

 

L’Accord Général sur le commerce des services (AGCS) en négociation à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) peut contraindre les pays membres à négocier la privatisation irréversible de tous les secteurs dits ≪ de service ≫. Seuls seraient exclus de cet accord les services émanant de gouvernements en dehors de toute base commerciale, c’est­à­dire : la justice, la police, la défense. Seraient alors concernés par les négociations de cet accord l’éducation, la santé, les services de l’eau, la recherche, les transports, l’aménagement du territoire, la culture…

 

Un certain nombre de services rendus aux citoyens et actuellement organisés en service public et dans l’intérêt public ne peuvent sans danger pour l’usager être soustraits à l’initiative et à la gestion publique. Nous sommes donc particulièrement inquiets de l’AGCS et de ses conséquences, et sommes d’avis que nous devons prendre position contre toute obligation qui nous serait faite de remettre en cause les moyens, tant humains que matériels et financiers, accordés aux services publics communaux.

 

Il nous faut construire une politique fondée sur des principes clairs, car ceux­ci touchent directement aux préférences sociales et aux modes de vie de chaque société. Il est impératif de promouvoir la diversité culturelle : les biens et les services culturels ne sont pas des marchandises. La commercialisation et la libéralisation des services publics suscitent des préoccupations légitimes des citoyens et de leurs représentants. Il convient donc de chercher à maitriser la mondialisation des échanges pour assurer la cohésion économique et sociale. Nous devons exclure toute mise en cause des services publics. Leur ouverture permettrait alors une utilisation abusive de la contrainte extérieure pour imposer des réformes pas forcement souhaitées.

Nous devons agir pour défendre et promouvoir les services publics. Il faut faire reconnaître et garantir leur rôle en Suisse et leur spécificité, et leur développement doit être impérativement assuré.

Pour parler clairement, si l’AGCS était accepté, cela signifierait que toute autorité locale ou nationale aurait un champ de manoeuvre très limité. Que pensez­vous d’un monde ou notre Municipalité ne pourra pas s’opposer à une station d’épuration privée sur son territoire communal, ne pourra plus subventionner les réfectoires scolaires sans qu’une firme ne lui demande compensation pour concurrence déloyale? Comment un Etat pourra­t­il penser sur le long terme sa politique d’énergie? En raison de l’opacité qui accompagne la préparation des négociations OMC, il n’est pas possible de mesurer actuellement toute l’étendue des conséquences de l’accord général envisage; en revanche, il est déjà certain que, sauf disposition contraire de leur part, les états participant à la conférence (dont la Suisse) et leurs divisions territoriales (régions, provinces, cantons, communes) seront tenus par les impératifs qui seraient imposés par l’AGCS.

 

Par ces motifs, le groupe POP et Gauche en mouvement demande par voie de motion:

que Lausanne soit déclarée ≪Ville hors zone AGCS≫ en ce sens que ≪Lausanne est et restera opposée à toute disposition de l’AGCS qui l’obligerait (directement ou indirectement) à libéraliser des services publics communaux qu’elle considère devoir rester dans le domaine public≫;

que Lausanne demande a la Confédération ainsi qu’aux Cantons et Communes de s’opposer a toute disposition de ce type;

que Lausanne demande a la Confédération de proposer un moratoire aux négociations actuelles;

que Lausanne demande la diffusion publique des propositions précises d’accord général des services en discussion à l’OMC de manière à bien informer le public afin d’ouvrir un large débat qui permettra à nos élus fédéraux, cantonaux et communaux de jouer leur rôle;

que Lausanne se déclare solidaire des autres villes et communes qui se sont affirmées ≪zones non AGCS≫, telles Paris, Vienne, Oxford, Vancouver, Toronto, Québec, Melbourne, ainsi que les quelque 350 villes françaises, la cinquantaine de villes américaines, parmi d’autres. Des milliers d’associations, d’ONG sont engagées dans cette campagne, ainsi que des millions d’hommes et de femmes, sur toute la planète.

 

[1]BCC 2004­2005, Tome II, pp. 60­61

 

[2] http://www.lausanne.ch/lausanne­officielle/marches­publics/omc­prise­de­position­agcs.html

 

[3]Jennar, R. M. (2014) « Cinquante Etat négocient en secret la libéralisation des services ». Le Monde

 

Diplomatique, Septembre 2014.

 

[4]Bréville, B. & Bulard, M. (2014) « Des Tribunaux pour détrousser les Etats ». Le Monde Diplomatique,

 

[5]Un peu plus haut, le Conseil Fédéral précisait que « Le rochet signifie qu’une partie contractante ne

 

peut pas revenir sur des réductions ultérieures concernant le traitement national, à moins que sa liste

 

d’engagements ne contienne des réserves spécifiques à cet égard ».

 

[6] c.f. interpellation de Gaillard Benoît et crts ­ Libéralisation totale du marché de l’électricité : les services

 

publics grands perdants ?