Un marché de dupes

Pour combattre la caisse unique, les caisses­maladie l’af irment : il faut protéger la libre concurrence. Les assureurs sont supposés améliorer leur of re, pour proposer le meilleur rapport qualité/prix sur le marché. Essayez donc d’imaginer un vrai marché, où le badaud cherche parmi les stands les meilleurs légumes. Est­ce que cela vous semble correspondre à la situation des assurés, lorsqu’ils cherchent
fin novembre leur nouvel assureur ? A mon avis, il y a trois dif érences qui distinguent les deux tableaux.
Premièrement, les clients sont captifs, puisqu’ils n’ont pas le choix d’adhérer ou non à l’assurance obligatoire. Deuxièmement, les prestations, selon la loi, sont censées être toutes pareilles, quelle que soit la caisse­maladie. Et enfin, les assureurs sont supposés ne faire aucun profit, et ont donc peu d’intérêt à diminuer leurs frais. L’assurance­maladie obligatoire est donc surtout un terrain où les caisses peuvent faire la promotion des assurances complémentaires privées, aux dépens des assurés. Voici quelques problèmes, rencontrés dans mon activité de travailleur social, et qui pourraient être évités avec une caisse unique.

Choisir son assureur
Actuellement, les primes varient en fonction de la région, de l’âge, de l’assureur, ainsi que de la franchise et du modèle d’assurance choisis. Résultat : chaque année plus de 300’000 polices sont publiées en octobre. Les assurés vont donc devoir trier pour trouver leur assurance. Et si vous optez pour un modèle spécial, tel que HMO/réseau de soins ou le médecin de famille, mieux vaut lire les petits caractères. Une assurée s’en est aperçue à ses dépens : elle avait choisi un modèle « médecin de famille », mais ne s’était pas aperçue que le praticien devait être inscrit sur la liste d’un réseau. Comme son médecin traitant n’y figurait pas, elle s’est trouvée avec une pénalité d’une centaine de francs par mois, et sans possibilité de résilier son contrat avant l’année suivante.

Changer d’assurance
En novembre, les assurés changent de caisse par centaines de milliers. Il arrive que le changement ne soit pas validé avant le mois de janvier suivant. En conséquence, les primes sont versées au mauvais assureur, ou la pharmacie demande le remboursement à la mauvaise caisse. En théorie, il suffirait que l’ancienne et la nouvelle assurance entrent en contact pour que l’une rembourse à
l”autre ce qui a été payé à tort. Dans la pratique, la caisse qui a trop payé (ou pas assez reçu) envoie sa facture à l’assuré, qui devra ensuite se retourner contre l’autre assureur. Et bien sûr, celui qui réclame de l’argent est beaucoup plus pressé que celui qui doit en rembourser : ce sont donc quelques centaines ou quelques milliers de francs que l’assuré devra avancer de sa poche durant des mois, sous peine de poursuites.

Obtenir un remboursement
Par ailleurs, les caisses maladie sont des organismes de droit privé, mais qui exécutent une assurance de droit public. Cela complique la procédure lorsqu’elles refusent un remboursement. Ainsi, une personne a dû se faire arracher des dents avant une opération cardiaque. Dans ce cas, le dentiste devrait être remboursé ; mais l’assureur a refusé. Légalement, l’assuré devrait alors demander une décision formelle à sa caisse, et faire ensuite une opposition, puis un recours. Une procédure que les caisses évitent de signaler, et que la plupart des assurés ne connaissent pas. A la clé, quelques milliers de francs de perdus, pour un patient avec de faibles revenus.

Lorsque les assureurs attaquent la Caisse unique et vantent les bienfaits de la concurrence ils oublient ce genre de problèmes. Ils sont pourtant assez couteux pour que les assurés s’en souviennent au moment de voter.

David Payot