Par David Payot, Conseiller communal Lausanne

Avec le projet Taoua, la Municipalité lausannoise propose la construction d’une tour de 86 mètres de haut – et 40 de large – à l’angle du Palais de Beaulieu. Le projet vise haut, mais manque de hauteur. Comment sacrifier le domaine public à l’économie et aux intérêts privés ? Comment bétonner sans vision d’ensemble de l’urbanisation ? Taoua nous offre un bon exemple à ne pas suivre.

 

L’économie avant les habitants

Que construire, dans une ville qui connaît une pénurie du logement record, dans un quartier populaire où les petits commerces sont à la peine ? La Municipalité n’hésite pas longtemps : dès 2008, elle organise un concours d’architecture, pour un projet comprenant deux hôtels, un restaurant, des surfaces commerciales, un centre d’affaires, des bureaux, et des logements de standing. Ô surprise, pour faire cohabiter toutes les infrastructures demandées sur environ 5’000 mètres carrés, bon nombre d’architectes propose la construction d’une tour. La Municipalité applaudit ce choix (qu’elle avait un tout petit peu forcé), et le défendra désormais face à toute alternative.

 

Les profits au privé

Premier obstacle : une tour coûte cher ; ce ne sont pas les coopératives ni les entreprises locales qui peuvent assumer l’investissement. La Municipalité passe donc contrat avec Losinger (filiale du groupe Bouygues), et Orox Capital Investment, société de placement dans l’immobilier. Ces derniers construiront et exploiteront la tour, moyennant une redevance annuelle à la Ville. Celle-ci a été fixée à 350’000 francs par an au minimum. Que l’on considère les 5’600 m2 mis à disposition par la ville ou les 30’000 m2 de plancher, cela paraît extrêmement peu ; à peu près quatre fois moins que le projet de logement « Sirius » à l’avenue de Morges. Les défenseurs de Taoua nous promettent que la redevance pourrait atteindre 1’400’000 francs, suivant la performance commerciale de la tour. Reste que la Ville retirera, dans le meilleur des cas, un loyer comparable à celui du projet de logement sans but lucratif Sirius. Les investisseurs privés peuvent donc se réjouir.

 

Greenwashing et pinkwashing

Le greenwashing, c’est donner une allure écolo à un projet pour le rendre plus vendeur. Une tour, par définition, coûte cher en énergie : les déplacements se font en ascenseur, la chaleur communique difficilement dans le bâtiment, les espaces techniques occupent un tiers des surfaces. Les défenseurs de Taoua célèbrent donc la « performance » de leur tour labellisée Minergie. C’est le label qu’ont tous les autres bâtiments construits par la Ville ces dernières années, sans avoir besoin de s’en vanter.

Le terme pinkwashing (donner une allure sociale à un projet pour le vendre), n’existait pas. Mais c’est une occasion pour l’inventer : en 2011, la Municipalité retire son préavis « Taoua », qui risque d’être refusé par la majorité du Conseil Communal. En 2013, elle revient avec une nouvelle version, qui comprend une trentaine de logements « abordables ». Les socialistes approuvent unanimement le projet Taoua. C’est oublier que les logements « abordables » le sont moins que d’habitude : ils coûtent 10% de plus que dans les autres projets de la commune. Et surtout, ils ne sont pas abordables selon les barèmes sociaux de la commune : l’aide sociale, les prestations complémentaires AVS/AI ou famille, l’aide individuelle au logement comportent un plafond de loyer. Le principe est que l’Etat n’a pas à aider les individus à payer un loyer excessif. Et les barèmes de l’Etat n’admettent presque aucun des loyers de Taoua. Les logements « abordables » paraissent surtout un prétexte pour oublier les 88% de la tour, inabordables pour nombre de Lausannois-es.

 

Une tour sans vue d’ensemble

Une tour est visible loin alentour, et limite les possibilités de construction future ; il faut donc bien planifier sa situation. Lausanne Régions propose donc une série de critères pour l’implantation de tours, publiés en février 2014. Autant dire que la tour de Beaulieu, annoncée dès 2009, ne s’occupe pas de ces critères. Un manque de vision qui n’arrête pas les  défenseurs de Taoua : selon le préavis, « sa situation est parfaitement exceptionnelle par rapport au territoire lausannois, car elle échappe en grande partie à une position en pente qui est problématique pour l’implantation des tours ». D’autre part, selon un tract du 20 février, elle ne fera pas trop d’ombre au voisinage, car « la situation du bâtiment, dans une pente, permet de minimiser son impact ». Dans la pente ou non, gageons que cette tour laissera une place au soleil pour les spéculateurs. Nous estimons que Taoua n’est pas un projet pour les Lausannois-es, et appelons à le refuser.