«Se rendre compte», aider les gens à réaliser une prise de conscience politique, individuelle et collective. c’est cela l’important aime à dire Georges Tafelmacher, une conclusion aussi de son parcours de militant, de vie, riche d’expériences.

Georges, 61 ans, a exploré toutes sortes de voies d’opposition au système libéral. Parallèlement, étant jeune, il a occupé des jobs différents ici et ailleurs, avant de devenir «sauveur de meubles», comme il aime à définir son métier d’ébéniste. Son atelier, à Pully, où de vieux meubles attendent leur prochaine vie, est imprégné d’imaginaire. Georges, lorsqu’il arrive à grappiller un peu de temps, peint et fait de la photo.

Son militantisme actuel : l’agitation sociale ! Huit ans passés au législatif pulliéran ? de 1977 à 1986 – ont achevé de le décevoir de la politique institutionnelle. Pour Georges, son terrain politique, c’est avant tout la rue. Il discute avec les gens tout en récoltant des signatures, souvent au marché à Lausanne le samedi matin. Référendums, initiatives ou pétitions, manif, sit-in’ il est de toutes les campagnes.

Dans les années 80, il adhère à l’Organisation Socialiste Libertaire et au syndicat de la Confédération Romande du Travail. Il rallie en même temps les pacifistes, rejoint le GSsA et le Centre Martin Luther King, devenu CENAC et s’associe au Collectif Urgence Palestine.

Il est un militant anti-guerre mais tient surtout à rester un simple citoyen.

«Le «virus» de la guerre est à l’état latent partout: ce sont les rapports de force qui empreignent et conditionnent notre société jusque dans notre quotidien. Pire, tout nous pousse à les intérioriser. Donc désertons ce champ-là, politiquement et individuellement. La force est du côté de la bourgeoisie, elle sera toujours gagnante à ces jeux-là. Mais il existe d’autres voies pour s’opposer à ce système mortifère. La non violence a des outils qui ont fait leurs preuves et qui font peur aux classes dominantes.»

Cette violence sous-jacente de notre société, Georges la découvre à l’école, au Canada où il passe son enfance. Il s’en souvient comme d’un pays où la compétition était une sorte de religion : «On me disait:il faut que tu t?en sortes!» Dès son premier emploi, à Montréal où il est dessinateur technique, il se rebelle contre les abus du patron. Georges rentre alors en Suisse, travaille sur un des chantiers du barrage d’Emosson où il fait toutes sortes de métiers. Puis en 1967, il repart au Mexique et travaille dans une ONG. En collaboration avec un prêtre, Georges installe un atelier de meubles; il aide les habitants des quartiers pauvres à créer eux-mêmes leurs propres équipements et à réparer leur maisons. Un succès. Fort de cette expérience, Georges rentre en Suisse avec l’intention de suivre une école sociale mais ses diplômes canadiens ne sont pas reconnus. Il entre alors comme magasinier à la Migros puis décide de se former en ébénisterie.

Il collabore à l’ouverture d’une coopérative d’artisans qui dure quelques années, travaille également dans une association d’entraide familiale puis met sur pied, avec le soutient de son épouse, son propre atelier. Malgré un travail intense, il n’a jamais cessé de militer. On lui reproche parfois son irréalisme. Grand maigre, avec ses boucles grises et ses petites lunettes, Georges il est vrai a le physique de l’idéaliste. Mais ils s’en défend:«Manque de réalisme, moi ? Mais de quelle réalité parlons-nous, celle du magasinier, du man½uvre sur un chantier, des nettoyeuses, celle des petits gens ordinaires ou de celles des détenteurs de paquets d’actions’ La folie n’est-elle pas d’imaginer que notre société pourra survivre avec l’illusion d’une croissance infinie dans un monde limité ? La nature nous montre chaque jour que sa patience est à bout? »

Elisabeth Brindesi