Image mendicitéFaut-il interdire la mendicité ? Quelle est la position de la gauche sur cette question ?

C’est l’un des dossiers chauds de la rentrée: l’interdiction de la mendicité à Lausanne fait débat, sur fond d’instrumentalisation politique de la misère.

L’initiative pour l’interdiction de la mendicité avait été lancée par le PLR en février 2011, un mois avant les élections communales. L’objectif n’était pas de s’intéresser au sort des plus démunis, mais de siphonner le maximum de voix à l’UDC en se positionnant comme le parti de l’ordre. Le texte ayant été déposé, il soulève d’abord une question de fond : dans une société libérale, a-t-on le droit, lorsqu’on se trouve en situation de pauvreté, de subvenir à ses besoins par la charité d’autrui ? Pour la droite, la réponse est non : dès lors qu’on parle des pauvres, le respect de la liberté individuelle ne pèse pas bien lourd. Il est vrai que la misère n’est jamais belle à voir : personne ne veut en connaître les effets, et sa seule présence au sein de l’espace public dérange. Mais disons-le haut et fort : la mendicité n’est pas une question de sécurité publique. Derrière la volonté d’interdire cette pratique vieille comme le monde (l’opportunité de l’interdiction de la mendicité est discutée chez nous au moins depuis la fin du Moyen-âge) se cachent des intérêts parfois très pragmatiques, à l’image du lobbying en faveur de l’initiative effectué par les milieux du tourisme et du commerce (les mêmes qui appellent au déplacement des marginaux avant chaque événement sportif ou culturel d’importance). Fondamentalement, si les quelques cinquante mendiants de Lausanne déchainent tant les passions, c’est sans doute qu’ils nous renvoient au malaise éprouvé face à la réalité de la détresse. Qu’éprouvons-nous lorsque nous rentrons dans nos confortables appartements, les mains chargées de cabas, et que nous croisons le regard de ces personnes ? Les mendiants nous poussent à nous interroger sur la question sociale, sur la question hautement politique de la répartition des richesses : peut-être est-ce pour cela qu’ils embarrassent tant.

Face à cette situation, la droite entend appliquer le principe qu’elle privilégie toujours : se voiler la face, déplacer le problème pour le résoudre, « cacher la poussière sous le tapis ». La misère est gênante ? Rendons la misère illégale, et amendons les pauvres ! On se demande pourquoi personne n’y avait pensé plus tôt.

Dans ce débat très émotionnel, il n’est pas inutile de regarder du côté de Genève, où la mendicité est interdite depuis cinq ans : quel est le résultat de cette politique ? Des dizaines de milliers de contraventions ont été établies. Les mendiants ne pouvant s’acquitter de celles-ci, elles ont été envoyées au domicile (supposé) des personnes en Roumanie, engendrant frais de port et bureaucratie absurde. Les policiers ont été occupés à des tâches administratives: est-ce là leur rôle ? N’y a-t-il pas de missions plus urgentes, d’enjeux plus cruciaux pour les forces de l’ordre ? Prétend-on lutter contre le deal – ce fléau dont chacun souhaite l’éradication – en assignant aux policiers une mission de contrôle des gobelets ? On estime que la politique d’interdiction de la mendicité a coûté, sur une période de 18 mois, 20 millions aux contribuables genevois, sans que celle-ci mette un terme à la pratique. Pour ces raisons, dans la cité de Calvin, Les Verts et le parti socialiste exigent aujourd’hui l’abolition de la loi interdisant la mendicité.

Consciente des problèmes posés par une pénalisation, la Municipalité déposera un contre-projet. Parmi les mesures proposées figurent notamment la création de zones où tendre la main sera punissable (à proximité des bancomats et des entrées de commerces, notamment). Il ne serait plus possible de « prendre à partie » les passants, la mendicité « passive » serait désormais seule autorisée. Ce texte constitue-il une solution acceptable et applicable ? Les plaintes de la population sont réelles ; elles doivent être entendues. Mais tant l’initiative du PLR que le contre-projet risquent d’être à la fois problématiques sur le plan des libertés individuelles, coûteux et finalement inefficaces. Dans le cadre du contre-projet, verra-t-on des policiers sortir un GPS pour vérifier si les mendiants sont bien à cinq mètres du bancomat ? Et chacun sait aussi que les amendes qui seraient infligées seront très difficilement exigibles.

Les débats au Conseil communal s’annoncent difficiles. Selon le résultat de ceux-ci, le peuple pourrait être appelé à voter au début de l’année prochaine.

Julien Sansonnens

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