Pourquoi et dans quelles circonstances t’es-tu engagé politiquement dans le POP ?
J’y vois un ensemble d’éléments. Le premier, majeur, c’est la grande crise des années 30. De cinq membres, la famille se retrouve d’un jour à l’autre à sept : sont arrivés le grand-père et une tante de Vallorbe, où les usines fermaient. On fait de la place, on se serre …la ceinture aussi. L’enfant que j’étais est demeuré imprégné par le climat qui régnait à la maison, le visage des parents reflétant les soucis quotidiens. Et puis il y a l’enchaînement d’événements tragiques : la guerre d’Espagne et la victoire de Franco, la Deuxième Guerre mondiale, l’aggravation de la tension Est-Ouest. J’ai eu le privilège de connaître un pianiste viennois, juif, communiste, réfugié en Suisse. Il m’a initié à la musique, et à la politique. J’ai voulu m’engager pour lutter contre les injustices en général, et pour la défense de la paix mondiale en danger. Au printemps 1948, j’ai adhéré au POP, le parti sans fil à la patte !
A côté de tes fonctions dans le parti, notamment comme président du POP lausannois de 1954 à 1984, tu as été membre du Conseil communal de Lausanne de 1958 à 1985, et du Grand Conseil de 1958 à 1978. Parle-nous de ton activité de parlementaire.
Tout jeune député, je suis intervenu au Grand Conseil pour demander une réglementation de la gestion des caisses de pension (2ème pilier) du domaine privé. J’ai été sensible aussi aux problèmes de circulation à Lausanne, avec l’augmentation constante des véhicules à moteur. Le mot-clef de l’époque était la «fluidité du trafic», au détriment des piétons. Je suis intervenu au nom du POP pour demander la création de grands parkings périphériques et un développement intensif des transports publics. Comme membre de la commission permanente des finances, j’ai participé à de nombreuses séances consacrées à l’introduction de l’informatique dans l’administration communale, avec le souci d’assurer la protection de la sphère privée. Des problèmes restés bien actuels, on le voit !
Ta vie professionnelle a connu des tribulations. En particulier, ton licenciement abrupt de la maison Veillon a fait grand bruit…
Le samedi 30 septembre 1956, à l’issue de la semaine de travail, je me vois signifier mon licenciement avec effet immédiat, après neuf ans de bons et loyaux services, comme on dit. Or trois ans avant, j’avais été élu à la présidence de la Commission du personnel. Très active, celle-ci avait apporté à l’ensemble des employés des avancées sensibles sur le plan social et au niveau salarial. Il fallait donner un coup d’arrêt et décapiter le mouvement ! Les événements de Hongrie n’ont pas joué de rôle dans ce licenciement ; en revanche ils ont empêché ma réintégration dans l’entreprise. Pendant six mois, j’ai dû travailler comme manœuvre sur les chantiers, à la brouette, la pelle et la pioche.
A ton avis, quels ont été les principaux succès du PST/POP ? …et ses erreurs ?
Je mentionnerai d’abord la campagne de signatures pour l’Appel de Stockholm (1950) contre les armes atomiques et pour la paix mondiale. La contribution du parti a été très importante aussi pour l’introduction du suffrage féminin dans le canton de Vaud. Egalement pour les progrès dans les domaines des allocations familiales et des vacances. Et puis il y a eu l’initiative du Parti suisse du Travail «Pour une véritable retraite populaire» (1971), qui a fait un très bon résultat. Dans les relations avec les partis frères, le PST s’est battu pour la souveraineté nationale complète, par opposition à la «souveraineté limitée» voulue par Brejnev. En revanche, nous avons été trop souvent sectaires, persuadés d’être les seuls à avoir raison… Cette lutte politique a donné un sens à ma vie, mais rien n’est jamais définitivement acquis ni irréversible. Le POP restera bien vivant tant qu’il continuera à jouer ce rôle d’aiguillon !
A côté de ses multiples activités politiques – il est encore très présent aux stands du POP – Ernest Décosterd est un homme de culture, en particulier un grand connaisseur de musique classique et un lecteur passionné. RESISTANCE souhaite un bon 90e anniversaire à ce militant exemplaire resté d’une étonnante jeunesse !
Propos recueillis par Pierre Jeanneret