La lutte des classes au coeur du combat politique
Interview – Christophe Grand, photographe et membre du POP Vaud, secrétaire cantonal de juin 2016 à juin 2021 et secrétaire national adjoint du PST-POP, revient sur son parcours et son engagement.
Quelle a été ta première action ou réflexion politique? Christophe Grand: Adolescent, je n’étais pas du tout politisé. Néanmoins, dans mon milieu social modeste, j’étais témoin des injustices sociales. Je voyais les fins de mois difficiles, ma mère qui m’a élevée seule suite au décès de mon père, devait cumuler plusieurs emplois pour vivre. Les vacances d’été étaient un moment particulièrement révélateur: la plupart de mes camarades partaient en vacances alors que nous n’en avions pas les moyens. En plus d’être privé de vacances, je me retrouvais seul dans le village où j’habitais, ou presque. Ceux qui restaient, c’était souvent les plus modestes, comme moi ou les fils de paysans qui aidaient à la ferme.
La première fois que tu as pris position politiquement?
Je ne viens pas d’une famille politisée. Mon père était antipolitique. Ma mère s’y intéresse de loin. A l’adolescence, un professeur remplaçant à l’école nous a fait écouter Brassens. Mes copains rigolaient, mais pour moi, ce fut une révélation. J’ai acheté l’un de ses disques. A partir de là, j’ai voulu découvrir d’autres chanteurs, Gainsbourg, Brel, Ferrat, Moustaki… C’est par la musique que je suis arrivé à une pensée politique. Brassens était anarchiste, Jean Ferrat, communiste. Le style populaire des chansons de Renaud me parlait beaucoup. Cela a eu une résonance en moi. En même temps que cette découverte, mon prof principal nous avait appris à écrire des poèmes. J’y voyais une connexion entre les deux.
De ma mère, qui n’est pas politisée, j’ai appris l’importance de voter. Pour elle, vivre en démocratie signifie faire usage de son droit de vote. Lorsque j’ai choisi d’adhérer au parti, ma mère m’a dit «tu ne peux pas faire de politique car tu n’es qu’un simple apprenti. Les politicien.nes ont fait de longues études, ils.elles sont médecins, avocat.es…» Je lui ai dit qu’elle se trompait, que les choses seraient différentes, si davantage de personnes issues des milieux populaires comme nous s’engageaient et peuplaient les parlements.
Ta première activité politique?
J’ai souvent signé des pétitions et initiatives dans la rue. Mais j’ai adhéré au POP en 2014, soit à 28 ans. Je suis venu à une assemblée générale. J’ai ensuite rencontré Bernard Borel dans le Chablais. Puis à une manifestation contre TISA (accord général sur le commerce des services), j’ai rencontré davantage de camarades. De fil en aiguille, avec 2 autres camarades, on a créé les jeunes POP en janvier 2015 (lancement d’une pétition pour la gratuité des transports publics pour les jeunes). En juin 2016, j’ai été élu au poste de secrétaire cantonal. J’ai aussi été conseiller communal à Bex entre décembre 2017 et juin 2021.
En quoi consiste l’activité d’un secrétaire cantonal?
Il y a beaucoup d’activités. Mais avant tout, il faut avoir une vision politique pour un parti cantonal, organiser le travail et les relations entre les militant.es et les sections, entre les sections et les instances cantonales. Et avoir un rôle de moteur pour inciter les membres à s’impliquer dans les activités, les manifestations, l’actualité politique, soutenir le lancement de projets, et faire le lien avec le parti national.
Après cinq ans, quel regard poses-tu sur ce mandat?
C’est avant tout beaucoup de rencontres, de discussions très enrichissantes, même si parfois on n’est pas d’accord sur tout. Cela prend beaucoup de temps, la frontière entre militantisme et travail de secrétaire disparaît et fait qu’il n’est pas toujours facile d’avoir une vie privée. Les attentes sont importantes alors que le temps à disposition est limité. On est un petit parti, nous disposons de petits moyens et il est important que les militant.es se rendent compte de cela. Le secrétaire peut centraliser les infos, faire des liens, mais à partir des actions menées, portées sur le terrain. Il doit jouer un rôle centralisateur, de mise en perspective. Le secrétaire a une vision, il oriente, il priorise. S’il est trop pris par le travail de terrain, il lui manquera le recul nécessaire.
Quel regard tu poses sur l’action politique du POP, et le champ politique en général?
Il est difficile pour un petit parti d’être visible et de se faire entendre. Pour les médias, c’est comme si on n’existait pas. Si on veut se faire entendre, il faut vraiment occuper les nombreux terrains existants: les rues, les parlements, les associations, les réseaux sociaux. Le discours de défense des classes populaires et du monde ouvrier a moins la cote aujourd’hui dans notre société. La lutte se concentre sur les questions sociétales, le genre, les questions raciales, l’identité sexuelle… ce sont des combats que nous devons mener, mais qui ne doivent pas se faire au détriment des questions sociales et économiques.
La priorité pour moi, c’est la lutte des classes, cela doit rester le centre de nos combats. Les intérêts de classes restent au cœur de la démocratie, car ce sont les plus précarisé.es qui restent invisibles. Typiquement, le système des retraites, il va toucher toutes les personnes concernées, et pas seulement quelques catégories. Pour moi, on doit penser en termes de lutte des classes. Cela n’empêche pas d’autres luttes, communes à d’autres partis. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de ces différences sociales, terreau de la participation sociale et du droit d’appartenir à une collectivité, dignement et avec un droit de parole, duquel découle un pouvoir d’action.
Que penses-tu des mouvements sociaux?
Quand je suis devenu secrétaire cantonal, il n’y avait pas tous ces mouvements sociaux. Pour moi, au sein de ces mouvements, il y a une critique générale du système et des partis politiques. Là où ils se trompent selon moi, c’est que les partis politiques sont nécessaires et complémentaires de ces mouvements, ils peuvent aussi faire exister leur action ou certaines idées défendues. Les partis politiques peuvent être une plateforme qui visibilise leurs actions. Comme le POP est trop peu représenté dans les divers parlements, on pense que nous ne faisons rien et que nous ne sommes pas efficaces.
Or nos élu.es sont proactifs. Le dénigrement général des partis politiques dessert les mouvements sociaux, car au final ils ne sont pas représentés dans les lieux où se prennent les décisions. Cet amalgame évacue le problème central: nous sommes minoritaires. D’où la difficulté à obtenir des résultats. Cette désertion du politique alimente une déception grandissante de la population à l’égard de leurs représentant.es. C’est une spirale regrettable et qui justifie qu’on continue d’agir dans la sphère institutionnelle, en plus de tout le reste.
Tu observes aussi un retour aux idées marxistes.
J’observe, à l’inverse, une décomplexion des jeunes face à des idées marxistes et communistes. J’observe une recrudescence de l’engagement des jeunes en faveur des actions politiques. Les jeunes ressentent une urgence sociale et climatique liée au système capitaliste, qui nous détruit peu à peu.
Cette conscience favorise l’engagement des jeunes au POP. Récemment, une militante a adhéré tant elle s’est rendu compte que son action dans les associations aurait plus de poids si elle était aussi portée dans le monde politique. Les générations d’aujourd’hui sont loin d’une vision négative du communisme, telle que celle héritée des années de stalinisme. Le discours de la lutte des classes a retrouvé un sens dans l’esprit des jeunes, libéré du passé et réintroduit dans l’actualité.
Les héritages du passé ont cessé de polluer les esprits. Un autre exemple: la lutte pour le climat est plus que jamais d’actualité.
Mais encore…
On est tous d’accord sur l’urgence climatique, à la différence que pour nous elle doit s’allier à l’urgence sociale. Les idées vertes sont à la mode parce qu’il est plus simple de vouloir verdir les villes ou promouvoir le vélo, qui sont des combats moins conflictuels, plus faciles. Mais repenser entre autres, notre système des retraites, s’attaquer à la fiscalité et à la répartition des richesses, projets de société majeurs qui visent une amélioration de conditions de vie pour l’ensemble de la population, cela demande une conscience et une connaissance plus importante. Le POP s’engage pour un changement profond de société, mais en s’appuyant sur des projets concrets et réalisables. Ceux-ci s’adressent aux gens dans leur réalité du quotidien, sans tomber dans un discours intellectuel et idéaliste.
Aussi ce qui me plait au POP, c’est qu’on défend les classes populaires et qu’au sein même du parti, nombre de personnes sont issues des classes populaires ou de la migration. On ne parle pas SUR les autres, mais on travaille avec ceux et celles que l’on défend. Donc on travaille avec les personnes concernées. Cela légitime nos combats. On est au plus proche des gens qu’on défend. On n’est pas coupé de la réalité. Il reste cependant à améliorer la participation de toutes et tous au sein même de nos actions et permettre à ceux et celles qui savent de quoi on parle, de participer à l’élaboration de nos discours et actions. Il y a aussi beaucoup d’auto-exclusion, dans les groupes comme au sein de la population. C’est le défi des classes populaires: transformer leurs frustrations en combat politique et lutte collective. Un défi permanent.
Entretien réalisé par Karine Clerc publiée dans Résistance, journal du POP Vaud