Le travail de la terre fait partie intégrante de notre canton qui mêle agglomérations urbaines, régions rurales et montagnardes. L’agriculture qui englobe la culture maraîchère, l’élevage, la viticulture, l’arboriculture ou encore la paysannerie, pour ne citer que ces quelques secteurs d’activités, est d’une grande importance pour notre canton. En effet, pour l’année 2021, le canton comptait, 3’602 exploitations créant ainsi 12’649 emplois ; soit un des plus grands cantons agricoles de Suisse1. Ces secteurs d’activités ne doivent pas être délaissés : mieux, il faut s’en préoccuper en les développant avec une vision politique agricole renouvelée en donnant une direction axée sur le long terme. Ceci apparaît même comme une priorité à l’heure où partout en Europe, le monde paysan est en colère et descend dans la rue. À cela s’ajoute : l’urgence climatique à laquelle l’agriculture doit faire face, l’expansion d’accords de libre-échange et du libre marché qui acculent toujours plus celles et ceux qui travaillent la terre, ainsi qu’une volonté toujours plus grandissante de la population à consommer local, de qualité et sans agrochimie.

Dans de nombreux domaines nous sommes grandement dépendants de l’étranger, aux risques que lorsqu’une pandémie (ex. Covid) ou une guerre éclate (ex. Ukraine), certains aliments viennent à manquer. Cela peut déclencher une pénurie et cette pénurie ne permet plus l’approvisionnement nécessaire à la production de certains biens de première nécessité, par exemple, le blé pour produire du pain. La raréfaction de ces biens, lié à notre dépendance étrangère, influe négativement sur les prix, reprenons l’exemple du blé, dont l’augmentation des prix a un effet négatif sur le porte-monnaie des ménages suisses mais aussi sur les artisans comme les boulangers qui doivent vendre le pain plus cher au risque de perdre des clients et de fermer boutique.

Pourquoi continuer à importer par exemple des pommes de Normandie, des fraises d’Espagne ou des asperges du Pérou alors qu’on pourrait les produire ici. Ces exemples démontrent les conditions de concurrence déloyale auxquelles sont confrontés les producteurs, face à un régime d’import-export de plus en plus dérégularisé. Sous la pression de pouvoir importer moins chers depuis l’étranger, les grands distributeurs tels COOP et Migros imposent des prix insuffisamment rémunérateurs tout en se faisant des marges extraordinaires sur le dos de nos agriculteurs.

Nous savons qu’environ 3 exploitations agricoles disparaissent chaque jour en Suisse ; paradoxalement, les terres agricoles manquent pour les personnes qui souhaiteraient se lancer dans une agriculture non conventionnelle c’est-à-dire non liée à l’agrobusiness (agro-écologie, biodynamie, coopératives agricoles, etc…). La quasi omniprésence de l’agrobusiness dans le monde agricole, doit nous faire réfléchir à l’urgence de développer une agriculture représentative des enjeux du 21 siècle qui se fait hautement ressentir. Pour exemple : en 1980 notre canton comptait 7’478 exploitations d’une taille moyenne de 14,7 hectares. En 2017, seules 3’628 exploitations d’une taille moyenne 29,9 hectares subsistent, soit la moitié moins d’exploitations en presque 40 ans2. L’agrandissement de la taille moyenne des terres agricoles, montre que les petites exploitations sont absorbées par des plus grandes qui sont souvent au service de la grande distribution. Il faudrait, plus de terres agricoles, pour subvenir aux besoins de la population mais surtout plus de petites exploitations pour plus de diversité dans la production. Car comme le soulève le mouvement international Via Campesina, ce sont bien les petites structures paysannes qui sont en mesure de nourrir la planète : en effet, 70% de la nourriture est consommée localement et ce sont bien les petites structures qui contribuent à atténuer les effets négatifs sur le climat. Le canton de Vaud a donc un rôle primordial à jouer à l’échelle de la Suisse pour défendre une agriculture de proximité, diversifiée, respectueuse des producteurs comme des consommateurs et de l’environnement. Pour toutes ces raisons, il apparaît comme primordial que notre canton inscrive dans sa constitution le principe de souveraineté alimentaire. Concept qui a, dans un premier temps, été pensé et développé par des structures paysannes de différents continents, puis a été empoigné par la société civile. Le concept de souveraineté alimentaire pourrait se résumer de la manière suivante : « La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une agriculture nourricière, saine et diversifiée, accessible, produite de manière durable et écologique, et affirme le droit politique de déterminer nos propres politiques agricoles et alimentaires, c’est-à-dire le droit de pouvoir décider de nos propre système d’alimentation et de production. » (Déclaration de Nyéléni, 2007).

Rappelons deux exemples historiques significatifs dans le domaine de la souveraineté alimentaire en Suisse. Dans le contexte de la montée des tensions internationales précédant la Seconde Guerre mondiale, la Suisse a adopté en 1938 la loi fédérale sur l’approvisionnement du pays. Cette législation visait non seulement à préparer le pays à faire face à d’éventuelles pénuries en renforçant son indépendance alimentaire, mais aussi à instaurer une politique agricole capable d’augmenter la production nationale, de diversifier les sources d’approvisionnement et de stocker des denrées essentielles. Face aux défis actuels tels le changement climatique et les crises sanitaires, amplifié par la mondialisation la notion contemporaine de souveraineté alimentaire est plus d’actualité que jamais. Le système mis en place à l’époque a été très efficace.

En 2018, le débat sur la souveraineté alimentaire fût rouvert au niveau national avec l’initiative populaire fédérale « Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne tous et toutes ». Cette initiative visait à renforcer l’indépendance et la durabilité du système agricole suisse, en mettant l’accent sur des pratiques respectueuses de l’environnement, le soutien aux petites exploitations et une production locale. Malgré l’importance de ces enjeux, l’initiative a été rejetée par votation populaire. L’un des principaux motifs de ce rejet peut être attribué à la complexité du texte proposé, qui se composait de 10 alinéas et 6 sous-alinéas, jugés trop détaillés et peu clairs dans leur formulation. Il ne s’agit donc pas de remettre cette initiative sur le tapis, mais bien de proposer un texte plus concis qui vise juste.

L’intégration de la souveraineté alimentaire dans la constitution de notre canton peut être résumée selon la poursuite des objectifs suivants:

  • Garantir l’accès de toute la population à des aliments de qualité qui constituent la base d’une alimentation saine permettant un bon développement physique et mental ;
  • Soutenir une production indigène variée et durable ;
  • Établir une relation de confiance et de connaissance entre le producteur et le consommateur ;
  • Mettre fin à la perte de terres agricoles (y compris les pâturages d’été) ;
  • Accroître le degré d’autosuffisance ;
  • Lutter contre la sur-construction et l’abandon des terres (reboisement) ;
  • Garantir des conditions de travail équitables dans la production alimentaire ;
  • Exiger que les denrées alimentaires et les aliments pour animaux importés, répondent aux mêmes exigences que la production indigène ;
  • Promouvoir l’emploi dans l’agriculture ;
  • Assurer une tarification des prix transparente et équitable dans la chaîne agroalimentaire qui reflète les coûts de production ;
  • Encourager le développement de coopératives agricoles ainsi que toutes autres formes organisationnelles qui permettent de concilier l’offre des produits agricoles avec la demande des consommateurs et soutenir la vente directe, la diversification et la transformation de la production.

Le principe de la souveraineté alimentaire renforcerait la Constitution du canton de Vaud dans la protection de son agriculture, de l’environnement, de son territoire et de sa population, et serait également un modèle à suivre pour d’autres cantons pour une agriculture durable et équitable avec une vision à long terme.

Sur la base d’une initiative parlementaire tessinoise similaire déposée en 2018 et largement approuvée par le Grand Conseil du Tessin en 2020, ainsi que par la population tessinoise en votation le 13 juin 2021, entrée en vigueur le 1er octobre 2021. Nous proposons de modifier la Constitution comme suit :

Art. 59 al. 3 (nouveau)

Afin de garantir l’accès à une alimentation saine, variée et de qualité, le Canton reconnaît et doit appliquer le principe de la souveraineté alimentaire. Le Canton veille notamment à ce que la durabilité de l’utilisation de la terre en faveur des besoins de ses habitants soit assurée. Le Canton garantit donc également le droit de la population de décider de son propre système alimentaire et de production.

  1. Annuaire statistique Vaud 2023
  2. Annuaire statistique Vaud 2023

Initiative déposée au Grand Conseil Vaudois, par Vincent Keller député POP