Le fait de ne pas savoir quoi faire est une étape sur le chemin de la connaissance. En se référant à l’approche du psychologue humaniste américain Carl Rogers, un enseignant (lors d’une formation que j’ai suivie) soulignait ainsi la position d’un jeune confronté à son avenir professionnel, lorsqu’il semble résister à se mettre en mouvement (dans le sens attendu de ses éducateur∙trice∙s).
Il s’agissait d’accepter l’état d’ambivalence, issu de sentiments contraires, confronté aux injonctions extérieures, qui conduit à l’immobilisme. En reconnaissant l’ambivalence comme une étape, on crée un espace entre intériorité et extériorité, sans que l’une doive s’effacer devant l’autre.
Je me suis demandé si cette approche pouvait servir en politique. À l’égard des élu∙e∙s, les attentes sont fortes, les représentations de leur pouvoir d’agir trop souvent orientées vers des «solutions» qui, si elles existent, ne sortent pas d’un chapeau. Souvent, les problèmes qui se posent n’ont pas de solution immédiate, surtout lorsque ces problèmes touchent à l’humain, à la précarité, à la violence, ou encore à l’urgence climatique.
La scène politique est le théâtre de rapports de force, des réactions d’hommes et de femmes, confronté∙e∙s aux défis des vents contraires, aux choix, rapides, parfois impensés, reflétant l’urgence d’agir. En somme, leur posture traduit leur parcours, leur cadre de référence politique et leur sensibilité, activés en fonction des liens d’appartenance et de leur possibilité de convaincre les personnes qui participent à leurs décisions.
Confronté à l’impuissance (il faudra du temps pour abolir le capitalisme!), le risque est grand de se murer, inerte, dans l’indignation, ou de minimiser les problèmes qui nous dépassent. Il est plus difficile d’observer la zone grise qui les constitue et moins spectaculaire de l’habiter: rencontrer une personne vivant là, même privée de statut, se pencher sur la consommation de produits destructeurs pour la planète et générateurs d’emplois (précaires), se dire qu’on aime bien sa voiture, mais quand même, qu’on est bien à Bel-Air depuis qu’elles n’y passent plus. En gros, faire exister les problèmes en prenant soin du décor où ils se manifestent, les déplier, et ainsi se mettre en mouvement avec d’autres, sans en maîtriser la finalité.
Explorer et identifier
Les espaces qui permettent cette exploration se glissent entre les normes, le droit, la science, les mobilisations collectives, les agendas politiques et les plages colorées de nos agendas électroniques, nourrissant les dilemmes en leur donnant un visage. Encore faut-il pouvoir accéder à ces espaces.
Personnellement, j’essaie de les identifier en moi, et je cherche à l’extérieur les personnes et les lieux qui leur font écho. Au même titre que choisir son futur pour un jeune, oscillant entre le dedans et le dehors, nous avons besoin de tels espaces, où l’action consiste à donner la parole à l’ambivalence. Pour paraphraser le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, évitons de danser de plus en plus vite, simplement pour rester en place.