50 ans du droit de vote des femmes

A l’occasion des 50 ans du droit de vote des femmes en Suisse, «Résistance» vous propose une discussion croisée entre deux féministes du POP pour parler du droit de vote des femmes, mais évidemment des droits des femmes en général. Rencontre avec Nicole Haas Torriani, membre de la section de Renens et Josée Jetzer, membre de la section de Lausanne.

Quel âge aviez-vous lorsque le droit de vote des femmes a été accepté au niveau fédéral?
JOSÉE JETZER J’avais 19 ans.

NICOLE TORRIANI Moi j’avais 28 ans.

Qu’est-ce que le vote représentait pour vous en 1971?

NICOLE TORRIANI On pouvait voter dans le canton de Vaud depuis 1959 déjà. Parce que quand il y a eu une votation fédérale en 1959, Vaud a annexé une votation cantonale sur le droit de vote des femmes. Donc même si cela a été refusé au niveau national, ça a été accepté au niveau cantonal. On a donc eu le droit de vote 12ans avant. Du coup en 1971, les Vaudoises étaient déjà habituées à aller voter. En 1959, on a été contente dans la famille que les femmes obtiennent le droit de vote. Du coup, avec ma sœur, on a accompagné ma maman pour son premier vote. D’ailleurs je regrette qu’il n’y ait plus les dimanches de votation où tout le monde se déplace.

JOSÉE JETZER :Oui moi aussi! Je trouvais que c’était vraiment sympa d’aller au bureau de vote, tu voyais des gens, il y avait la personne qui contrôlait. C’était un moment solennel, où tout le monde votait en même temps. Mais je peux comprendre que ça dissuade certaines personnes de se lever pour aller voter. La première fois où j’ai pu voter, c’était pour l’initiative Schwarzenbach. J’en étais contente car cette initiative me touchait vraiment, comme j’étais mariée avec un étranger.

Un souvenir particulier à partager?

NICOLE TORRIANI On m’avait interviewée parce que les femmes n’avaient pas le droit d’avoir un compte à leur nom si elles étaient mariées. Ce que j’expliquais, c’est qu’à l’époque on recevait encore souvent nos payes de la main à la main. Ce qui fait que je ne me suis jamais sentie dépendante d’un mari.

Les arguments principaux, c’étaient que les femmes n’y comprennent rien et qu’elles vont voter avec leur cœur et pas avec leur tête. Et donc la grande peur des radicaux, c’était qu’on vote à gauche, vu qu’on ne raisonne qu’avec notre sensibilité. Il faut aussi dire qu’il y avait pas mal de femmes qui disaient: «Mais moi ça va très bien comme ça», et qui ne remettaient pas tellement en cause l’ordre établi.

JOSÉE JETZER Moi j’aimais bien m’exprimer, défendre les plus faibles, mais j’étais vraiment isolée de tout ce monde, je n’étais pas au courant qu’il y avait des débats, du militantisme. C’est vraiment quand mes enfants, que j’ai élevés seule, ont été grands que j’ai pu rejoindre le monde du militantisme.

Vous avez milité activement pour l’initiative de 1971?

NICOLE TORRIANI Oui. J’ai récolté des signatures pour l’initiative, car j’étais déjà à «Femmes en luttes». Il y avait d’ailleurs un gros débat sur cette question entre les féministes. Certaines pensaient qu’obtenir le droit de vote allait tout résoudre, alors que moi je me disais que si c’est pour élire des femmes radicales, des femmes de droite, ça ne changerait rien pour les ouvrières qui n’étaient pas représentées dans les instances. J’étais bien sûr pour le droit de vote, mais en voyant les limites de la représentation. Quand on voit celles qui se sont beaucoup mobilisées, c’étaient beaucoup des féministes bourgeoises, pas tellement dans les mouvements ouvriers.

JOSÉE JETZER Oui, c’était des gens plus instruits, plus au courant et qui avaient plus le temps de s’informer et de s’engager. Moi je n’étais pas militante à l’époque, je n’ai pas été élevée dans une famille qui parlait de politique, donc je n’avais pas les infos. J’ai quitté la maison jeune et me suis mariée avec une personne étrangère. Je n’avais donc pas cette culture et il est vrai qu’on n’en entendait pas beaucoup parler dans les médias et l’information ne circulait pas du tout aussi vite que maintenant,. Si tu ne lisais pas le 24 heures ou ne regardais pas le JT, tu ne savais pas grand-chose. Je n’ai pas le souvenir de grandes émissions ou manifestations à ce sujet. C’est bien plus tard que je me suis réveillée sur cette question. J’étais bien sûr heureuse de pouvoir aller voter pour ça, mais ce n’était pas ma préoccupation première.

NICOLE TORRIANI A l’époque, les femmes étaient soumises à beaucoup de choses. Leurs préoccupations premières, ce n’était pas de militer ou de voter, c’était de donner à manger aux enfants, que tout tourne bien. Les femmes n’étaient pas encore tellement féministes.

JOSÉE JETZER Oui, il n’y avait pas encore de révolte, les femmes étaient beaucoup dans l’acceptation, la soumission, la résignation, on ne se posait pas tellement ces questions. On devait surtout régler des problèmes de survie comme comment finir les fins de mois. Le féminisme au sens large, c’était plus tard, suite au mouvement de Mai 68. Mais il a quand même fallu un petit moment pour que ça se transfère ici.

Est-ce que c’était la plus grande avancée pour les femmes que vous avez connue?

JOSÉE JETZER Je me demande si ce n’était pas plutôt le droit à l’avortement. Parce que ça nous touchait directement. Avant, l’avortement était illégal, les femmes prenaient des risques énormes… rappelons- nous des aiguilles à tricoter.

NICOLE TORRIANI Oui, le droit à l’appropriation de son propre corps, ne pas déléguer une telle décision à quelqu’un d’autre, c’était vraiment important. Avant, c’était très compliqué. Même si dans le canton de Vaud on était plus souple, on devait quand même passer par plein de médecins et de psy qui prenaient la décision à notre place.

Il y a eu aussi la contraception. Quand j’ai connu ça, j’ai tout de suite appelé ma mère pour lui dire, «mais tu te rend compte c’est miraculeux, t’as qu’à prendre une pilule et tu tombes pas enceinte». Mais ça fait partie d’un mouvement général d’appropriation de son corps, de droits sexuels. Car, avant, on était responsable de ne pas tomber enceinte, mais en même temps, on ne nous donnait pas la liberté de décider pour nous-mêmes.

JOSÉE JETZER Moi, je ne connaissais pas la pilule, c’est une amie de ma mère qui m’en a parlé. C’était évidemment une révolution. Mais on sait aussi qu’il y avait beaucoup d’effets secondaires avec la pilule, surtout les premières qui étaient bien plus puissantes qu’aujourd’hui. Le préservatif s’est démocratisé bien plus tard, avec le SIDA.

Comment voyez-vous votre combat féministe aujourd’hui?

JOSÉE JETZER Je trouve que c’est bien de lutter pour un tout dans la société et pour plus d’égalité en général. Mais bien entendu d’abord pour les femmes, car c’est elles qui sont les plus défavorisées.

NICOLE TORRIANI C’est cette société qui engendre toutes ces inégalités et ce racisme qu’il faut changer profondément. La lutte doit être globale! Donc, en résumé, on est féministes révolutionnaires!

Interview réalisée par Céline Misiego publiée dans le journal Résistance du POP Vaud.