La crise du Covid a accentué le monopole exercé par les géants du numérique, critiqués pour ne pas respecter la vie privée des utilisateurs. Retour sur les nouvelles armes économiques au service de multinationales américaines

En 2013, le lanceur d’alerte et informaticien américain Edward Snowden révélait la plus grande opération d’écoute et de surveillance de masse dans l’histoire de l’humanité. Au coeur de ce scandale, nous trouvions le gouvernement étasunien et les GAFAM. Il s’agit de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, ces géants de l’informatique qui envahissent notre quotidien. Avec leurs smartphones, ordinateurs, logiciels, réseaux sociaux et autres services en ligne que nous utilisons pour travailler, nous divertir, nous former et communiquer, ils ont colonisé l’ensemble de nos activités professionnelles, sociales et personnelles. Leurs outils d’intelligences artificielles traitent nos données, ils savent tout de notre vie et de nos habitudes. Ils peuvent nous géolocaliser, savoir avec qui nous parlons ou échangeons, ils analysent les contenus de nos conversations WhatsApp et SMS, lisent nos mails, savent ce qu’ils pourraient nous vendre.

Les GAFAM sont les premiers artisans d’un monde aux accents orwelliens. La crise du Covid a encore augmenté notre dépendance aux produits numériques. Ainsi au travers du télétravail, on observe une augmentation de l’usage des vidéoconférences, du partage de fichiers à distance et de la communication par mail. Mais sommes-nous armés sur le plan technologique et législatif pour protéger l’accès à nos données personnelles et professionnelles? Il est permis d’en douter.

Si c’est gratuit, nous sommes le produit

Facebook et Google sont truffés de dispositifs de traçage. Ils permettent la récolte de gigantesques quantités d’information sur les profils, les centres d’intérêt et les habitudes des internautes. Nos profils sont ainsi ciblés dans le cadre de campagnes publicitaires. De plus en plus de voix s’élèvent contre l’utilisation de ces données sans le consentement des utilisateurs. Pourtant, les nouvelles dispositions du règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’UE prévoient bien la possibilité d’actions collectives.

Les acteurs du web que sont Google, Facebook et les autres ne respectent pas les règles dans leur manière de recueillir le consentement des internautes avec un système des cases précochées ou de clauses interminables que personne ne lit. Mais qu’il faut accepter pour continuer à utiliser la plateforme. Et ne pas être privé de services populaires, indispensables dans certains secteurs professionnels.

Optimisation fiscale

L’optimisation fiscale (pour ne pas dire fraude fiscale) a permis aux géants du numérique d’éviter le paiement d’impôts et de taxes à la hauteur de plusieurs milliards d’euros dans toute l’Europe. Certains pays comme la France ont réagi avec la mise en place de la taxe GAFA. Ce qui avait fait hurler Donald Trump, estimant qu’elle visait «injustement les entreprises américaines». En Suisse, il y a le lancement d’une initiative populaire proposant l’instauration d’une micro-taxe sur toutes les transactions électroniques: achats en ligne, paiements par carte de crédit et ventes de titres. Ces mesures restent bien timides, alors qu’une coordination à l’échelle européenne semble indispensable afin de lutter efficacement contre ces cas de fraudes. Et rappelons que les taxes, contrairement aux impôts, désavantagent surtout les petits revenus.

Les GAFAM concentrent leurs divisions les plus stratégiques sur la côte ouest des États-Unis et ne créent que très peu d’emplois à l’étranger. Les équipes locales s’occupent essentiellement de la relation client et du marketing.
Amazon commence aussi à s’implanter en Suisse avec ses centres de bases de données AWS. Grand gagnant de la crise Covid, le géant du commerce en ligne est régulièrement dénoncé pour ses conditions de travail difficiles et pour ne pas suffisamment protéger la santé et la sécurité de ses employés.

Pour le moment, nos gouvernements n’ont pas su amener les réponses adéquates tant au plan législatif que technologique pour la protection de nos données. Au contraire, ce sont les USA qui ont mis en place toute une série de nouvelles lois extraterritoriales. Elles leur permettent de rendre leurs activités d’espionnage (via les GAFAM) légales partout dans le monde. Il y a le Patriot Act (lutte contre le terrorisme), le Foreign Corrupt Practices Act (lutte contre la corruption dans les transactions internationales), le Foreign Account Tax Compliance Act (fiscalité), la loi Helms-Burton (loi sur les embargos) et plus récemment le Cloud Act. Celui-ci permet à l’administration américaine de consulter les données numériques stockées à l’étranger à travers nos courriels, photos, chats audio et vidéo, historiques de navigation et de recherche.

Racket d’entreprises européennes

Ces lois extraterritoriales sont les nouvelles armes économiques du 21e siècle. Sous couvert de la lutte contre le terrorisme et la corruption, les GAFAM fournissent toutes les données des entreprises au gouvernement américain. Ce dernier peut sanctionner tout acteur économique qui enfreindrait cette législation, même s’il trouve hors des États-Unis. Credit Suisse et UBS avaient été ainsi condamnés à de très lourdes amendes se chiffrant à plusieurs milliards de dollars suite à la violation de l’embargo touchant l’Iran, le Soudan, la Libye et Cuba. Novartis, ABB ou encore l’assureur Zurich Financial Service ont eux aussi dû s’acquitter de lourdes amendes.

En France, la filière nucléaire d’Alstom avait écopé d’une amende de plus de 772 millions de dollars, ce qui avait obligé ses dirigeants à vendre la filière à son concurrent américain General Electric. Le but est d’affaiblir les concurrents des grandes entreprises américaines. À chaque fois, ce sont les GAFAM qui transmettent les données des entreprises européennes au département de la justice des États-Unis. C’est tout simplement un système de racket organisé à l’échelle mondiale.

Solutions locales

Trois députés vaudois ont déposé un postulat « Pour sortir de notre dépendance numérique américaine et reconstruire une informatique de confiance, locale et résiliente ». Le popiste Vincent Keller a expliqué à la presse que «c’est très important de montrer que, malgré nos partis différents, nous tirons à la même corde face au même adversaire.» Le monopole exercé par les GAFAM dans le secteur de l’informatique est tel qu’il est difficile de proposer des alternatives sans action politique forte.

Paru dans le journal Résistance par Idriss