Initiative Vincent Keller – Pour la gratuité des transports publics en terre vaudoise

Cet été, l’Estonie est devenu le premier pays au monde à instaurer la gratuité des transports publics sur l’ensemble de son territoire pour ce qui concerne les bus. Dans la même veine, plus d’une soixantaine de villes ou agglomérations à travers le monde ont instauré la gratuité des transports en communs. Une initiative cantonale a par ailleurs été lancée dans le canton de Neuchâtel en automne dernier. La gratuité des transports publics, par les exemples cités précédemment, est un projet de plus en plus acquis et notre canton aurait, par le biais de cette initiative parlementaire, l’occasion de jouer un rôle pionnier en Suisse.

La gratuité des transports publics répond efficacement à des enjeux d’ordre écologique et de décongestion du trafic, enjeux auxquels notre canton est loin d’être étranger. À l’heure où une majorité croissante de gens vont de plus en plus loin pour se rendre de leur lieu de domicile à leur lieu de travail, que les routes sont souvent engorgées car le transport privé en voiture est encore largement privilégié, que la crise écologique et environnementales est entamée et sachant que, selon le journal de l’ATE de septembre 2017, seuls 2,9 % des gens choisissent leur moyen de transport par souci écologique, il nous apparait nécessaire de mettre urgemment en place des mesures efficaces incitant à l’usage des transports publics déjà existants.

Beaucoup d’usagers font un calcul simple, partant du fait qu’ils ont une voiture pour laquelle ils ont déjà payé taxes et assurances, il leur est meilleur marché de se déplacer dans leur véhicule privé que de prendre les transports collectifs, dont les tarifs sont souvent dissuasifs, surtout pour les familles. Par ailleurs, seuls 4 % des Vaudois ont un abonnement général, selon un article du quotidien 20 minutes de mars 2018. Et selon une étude, de 1990 à 2013, les tarifs des transports publics et principalement les CFF, on fait un bon de plus de 80 % pour un aller-retour. Ils invoquent aussi le manque de cadences desdits transports en commun, pour préférer leur voiture, alors que les entreprises de transports invoquent, elles, la sous-utilisation pour augmenter les prix. Cela, au nom d’une rentabilité à court terme qui reste discutable dans un domaine si sensible. Il est donc nécessaire de mettre en place des modalités incitatives efficaces pour entamer la transition de l’usage privilégié de la voiture vers les transports collectifs, à un moment où l’urgence écologique est un constat avéré qui rassemble autant une partie de la classe politique qu’une grande majorité de la population.

Les transports en commun sont déjà largement subventionnés par la Confédération et le canton, non seulement en ce qui concerne les infrastructures, mais aussi l’exploitation. Il s’agirait de financer maintenant la part que paient les usagers soit environ un tiers. Pour cela, nous proposons sa mise en place par deux biais. Le premier, par les impôts, sachant que les finances et l’économie vaudoise se portent au mieux. Deuxièmement, le financement de la part actuellement payée par les usagers se ferait par ce que nous pourrions nommer « un versement transport », soit une taxe sur le bénéfice des entreprises installées sur notre territoire et dont le siège social est implanté dans notre canton. Cette taxe est basée sur un modèle réalisé par d’autres initiatives de ce même type dans les villes ou agglomérations qui ont introduits la gratuité des transports en commun — par exemple Aubagne dans le sud de la France.

Au vu du nombre important de grandes entreprises et de multinationales qui peuplent notre territoire, ce financement pourrait, pour une bonne partie, couvrir la gratuité des transports en commun, et avec en complément la perception de l’impôt permettrait le développement et le réaménagement de certaines lignes et infrastructures, mais aussi permettrait la création d’emplois. Bien évidemment, cela exige qu’il y ait derrière une volonté politique claire. De plus nous considérons que les entreprises créatrices de richesses doivent enfin commencer à répartir cette richesse pour que l’ensemble de la population en profite, notamment les travailleurs qui la créent.

La mise en place de cette taxe sur les entreprises se ferait dans l’année civile dans laquelle le parlement a approuvé cette initiative parlementaire. La mise en place de la gratuité des transports publics se ferait dans l’année civile dans laquelle le premier versement de la taxe et des impôts destinés à cet effet ont été perçus par l’Etat. Cette initiative ne concerne, en principe, pas les transports de type « remontées mécaniques » des Alpes vaudoises ou du Jura. La loi d’application réglera les détails et exceptions, en particulier le cas des régions limitrophes du canton et dont les compagnies de transports travaillent sur deux ou plusieurs cantons.En conclusion, l’initiative demande de modifier la Constitution cantonale, et notamment son article 57, comme suit : «les transports publics sont gratuits sur tout le territoire cantonal ».

Un pays compte 2584 km2, 602’000 habitants, 233 habitants au km2, un Produit intérieur brut (PIB) nominal de 62 milliards de francs et un salaire moyen de 57’000 francs ; l’autre pays compte 3212 km2, 793’000 habitants, 247 habitants au km2, un PIB nominal de 54 milliards et un salaire moyen de 70’728 francs. Ces deux pays sont comparables, non ? Le premier introduit la gratuité des transports publics sur tout son territoire dès 2020 : c’est le Grand-Duché du Luxembourg. Et vous connaissez le second, le Pays de Vaud, qui aura la possibilité d’en faire autant si la présente initiative est acceptée.

Si je voulais continuer les comparaisons, je dirais que le gouvernement du Luxembourg ressemble beaucoup à notre Conseil d’Etat. Jugez plutôt : un premier ministre de droite, deux vice-premiers ministres dont l’un est socialiste et l’autre Vert, et quatorze ministres dans des proportions partisanes similaires. Si les contours définitifs de la mesure choisie par le Grand-Duché du Luxembourg ne sont pas encore connus et que comparaison n’est parfois pas raison, le principe est arrêté.

Je me permets donc de venir aujourd’hui vous présenter une initiative qui propose d’introduire la gratuité des transports publics sur l’ensemble du territoire vaudois. Comme vous le savez, ce n’est pas la première fois qu’une semblable requête est soumise et discutée au sein de notre parlement, ou d’un autre parlement du pays. Pour autant, nous sommes convaincus que c’est le moment idéal pour présenter à nouveau cet objet et pour faire de ce canton, déjà novateur à bien des égards, un pionnier en Suisse.

Les constats que nous faisons sont les mêmes que ceux faits par le Luxembourg et par l’ensemble des villes, dans le monde, qui ont choisi d’introduire la gratuité des transports publics sur leur territoire : urgence climatique, congestion des routes et des centres, prix pour les populations à faible revenu. Les avantages avérés sont aussi connus : le report modal, le service augmenté, la diminution de la pollution du trafic individuel, etc. Certains avantages sont même insoupçonnés, tels que la baisse drastique des incivilités dans les transports en commun ! Afin de rendre les transports publics encore plus attractifs qu’ils ne le sont aujourd’hui, il faut les rendre gratuits. Ainsi, nous n’entendrions plus jamais dire qu’ils sont trop chers ! Nous discutons ici d’un principe à inscrire dans la Constitution, mais il ne doit pas éluder l’implémentation dans la loi.

Déposé par Vincent Keller au Grand Conseil