Budget vaudois 2020 : un menu indigeste

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers d’Etat, Chères et chers collègues,

Nous voici donc à la fin du repas de fin d’année. Les assiettes du dessert trainent encore sur des tables désertes, le marc fini de sécher au fond des tasses de café et les verres de grappa sont vides. Les derniers clients quittent la salle et le patron ferme sa caisse.

Revenons sur le menu si vous le voulez bien.

En guise de “salutations de la cuisine”, je peux rassurer Monsieur le Député Gilles Meystre : d’une part je ne souhaite pas reprendre la place qui est la sienne au sein de son association fétiche, et d’autre part j’avais préparé la moitié (devrais-je dire “un demi” ?) de cette intervention en rentrant il y a trois semaines au début des débats sur l’EMPB.

Parce que je connaissais le menu du Chef et de sa brigade comme la plupart d’entre vous. Les recettes de cuisines sont les mêmes que celles des années précédentes et le Rédacteur en chef d’un célèbre guide gastronomique appelé « Rapport de Majorité de la Commission des Finances » s’est contenté de donner un bon 14/15 – presque 19/20 – avec un simple copier-coller des années précédentes. Cela dit, il faut le féliciter, lui et son équipe, pour la qualité de son travail. 14 ans que cela fonctionne !

À en faire crever de jalousie Marc Veyrat.

Pour la première entrée, les célèbres « EMPL » sur leur lit d’EMPD, rien de bien croustillant cette année. A l’exception d’un excellent amendement à la première bouchée concernant la surveillance des assurés qui présageait un plat unique en Suisse. Las, la seconde bouchée a suffi pour engloutir l’amendement, la Loi et tout le plat avec elle.

La seconde entrée, les EMPD en croûte de réponses aux interpellations, n’a pas vraiment plu aux invités. Sachant que le plat principal allait être copieux pour certains, plutôt maigre pour d’autres, il y a eu débat pour savoir si ceux-

ci avaient vraiment leur place dans le menu. On se rappellera avec émotion de la discussion entre la table 4 (celle qui a du être raccourcie entre le moment de la réservation et le soir du repas) et la table 2 (celle dont les clients ne parlent jamais, mais agissent) pour savoir si la LEO enrobée de WIFI sur mousse d’Education Numérique devait satisfaire le patron, ou les clients. Finalement la Cheffe de Partie a su convaincre que les communes, plutôt habituées au fast-food qu’à la Haute Cuisine ces dernières années, pourraient rediscuter de l’entier du paquet lors des négociations sur la nouvelle péréquation.

Le plat principal fut un moment d’anthologie, de ceux dont on garde généralement un souvenir impérissable sur le moment, mais qui s’estompe si rapidement le lendemain. Jugez plutôt : en lieu et place de l’habituel ronron à l’unanimité moins 5 non de l’entier des amendements proposés, la salle a eu le droit à une rallonge de 24 millions pour réalimenter le fond pour l’efficience énergétique des bâtiments. Cette fois-ci, ce fut vif entre la table 2 (avec les clients taciturnes mais actifs) et la 5 (celle qui a du être allongée entre le moment de la réservation et le soir du repas) qui pour l’occasion s’était alliée avec la table 6. Un débat fleuve où l’on a passé tour a tour des félicitations pour cette proposition d’agir concrètement, au numéro de funambulisme du major de table pour dire qu’on est d’accord entièrement, qu’on soutient, mais que finalement on n’a pas envie de perdre ailleurs parce que si on accepte, on risque de perdre des convives. Tout cela sous l’œil bienveillant de la table 1 qui avait beau jeu de continuer à engloutir ses pages. C’est bon lorsqu’on mange chez le Patron. Au final, les 24 millions ont été refusés, sans surprise. Neufs petits millions pour le plan climatique du Conseil d’Etat c’est suffisant.

Un autre instant magique, le dessert mélodieux: lorsque nous avons demandé de respecter nos engagements envers les écoles de musique au budget. Petit effet de manche ultra-connu ; « Rassurez-vous, nous vous avons entendu, nous reviendrons l’année prochaine avec une demande de crédit supplémentaire. Nous nous y engageons ». Cela serait dommage de modifier le budget, on se rendrait alors vite compte ce que tout le monde et la galaxie sait : les entrées fiscales sont massivement sous-estimées.

Pourtant le commis de cuisine assis tout là-haut à côté du Rédacteur en chef du guide gastronomique, avait calculé bien plus justement les vraies entrées fiscales de ce Canton. Ce n’est pas faute d’avoir essayé : il met en garde le Chef chaque année qu’il se trompe dans ses calculs et qu’il est possible d’ajouter 10 tables sans dépenser un centime de plus en matière première. Il savait, bien avant l’IDEHAP et son rapport publié le 20 novembre dernier, que le Chef sous-estimait régulièrement les entrées fiscales « significativement ». Parce que la recette du Grand Argentier est connue depuis 14 ans : minimisation massive des charges (donc des investissements, des services à la population et des politiques publiques), reports de charges sur les communes et ensuite, ajustement des recettes « au plus près du bord du verre d’eau ». Vous connaissez l’expérience de la tension de surface de l’eau, lorsqu’on ajoute une petite goutte : la nappe est détrempée. Ainsi, venir devant le plénum avec un budget présentant un excédant de quelques dizaines de milliers de francs est suffisant – pense-t-il !! – pour anhilier tout débat. Pour lui, son budget et réaliste, et solide.

Il est finalement assez intéressant de voir que le commis de cuisine sait mieux compter que le Chef. Alors, parce qu’on est à quelques jours de Noël, nous pensions qu’il aurait été adéquat d’offrir au Grand Argentier un petit présent en guise de pourboire : une calculatrice solaire, donc écologique et durable. Ainsi, pourrait-il l’utiliser à bon escient dans une année lorsque lui et son équipe présentera un budget qui reflètera vraiment les attentes de la population en matière de justice salariale, en matière d’urgence écologique, en matière de besoins des habitants de ce canton. Tout en ayant vérifié au moment des comptes 2019, avec sa calculatrice solaire, que le commis de cuisine avait encore une fois vu juste.

Monsieur le Député Vuillemin me disait, au sortir du premier soir de ce débat sur le budget, qu’il avait dû attendre 24 ans pour voir le groupe de la gauche de la gauche accepter l’entrée en matière. C’est vrai, nous pensions pouvoir mettre un peu de beurre dans les épinards, donner à ce budget une teinte plus en adéquation avec la réalité en présentant quelques amendements raisonnables. J’espère sincèrement que Monsieur le Député Vuillemin ne devra pas attendre encore 24 nouvelles années pour nous voir accepter le budget.

Vous l’aurez compris, nous refuserons ce budget et nous vous invitons à en faire de même.