Par Christiane Jaquet, députée au Grand Conseil vaudois
La messe est dite
Les assurés maladie de neuf cantons qui ont été spoliés durant 17 ans seront remboursés. Pour moitié. C’est ce qu’a décidé le Conseil national le 5 mars dernier. Il a dans le même élan considéré qu’il répondait ainsi à la pétition de l’AVIVO « Remboursez-nous » qui avait recueilli 56’400 signatures.
Une somme de 800 millions sera redistribuée en trois ans. Ce qui correspond grosso modo à ce que les assurés bernois ont « économisé » durant ces années en ayant des primes trop basses. En effet, les assurés des neuf cantons, comme Vaud, Genève, Zurich ou le Tessin, ont durant des années subventionné les 17 autres pour près de 2 milliards, essentiellement par le moyen des réserves que gèrent les assureurs comme bon leur semble.
La solution cotonneuse du remboursement, si durement discutée durant plus de deux ans, va faire passer tout le monde à la caisse, y compris ceux qui seront remboursés : la Confédération – 266 millions pris sur les impôts – , les assureurs pour la même somme qui puiseront dans les réserves déjà payées par les assurés ou augmenteront les primes et enfin les assurés des cantons qui n’avaient pas assez payé. Au fond, la dette sera payée essentiellement par ceux à qui elle était due !
Un chèque par assuré en janvier durant trois ans ?
Il n’y a donc pas de quoi rêver en voyant tous ces millions. Concrètement, pour le canton de Vaud par exemple, les assurés ont payé quelque 640 millions en trop. Ils devraient se répartir la moitié de cette somme. Cela représente 400 francs par assuré sur trois ans, soit à peine plus de 100 francs par an… Si les assureurs décident de diluer cet argent mois par mois dans les cotisations, les assurés s’en apercevront à peine. Surtout que les primes continuent à augmenter. Juste de quoi garantir un vibrant succès à la caisse publique qui sera votée cet automne !
Et s’il y avait pourtant un vrai geste politique à accomplir auprès de tous ces assurés qui se sentent frustrés : l’envoi à chaque assuré des neuf cantons, et dès le 1er janvier 2015, d’un chèque représentant ce qui leur est dû pour une année. Les cantons pourraient ensuite se faire rembourser par qui de droit. Quel Conseil d’Etat aura le bon sens de le faire ?
Besoin urgent de surveiller les caisses maladie
Le remboursement décidé le 5 mars dernier avait failli passer à la trappe. Le Conseil des Etats n’acceptait le remboursement que s’il était lié à une loi de surveillance des caisses maladie et le Conseil national avait, lui, renvoyé sèchement au Conseil fédéral cette même loi. Pour l’UDC Parmelin, il suffirait de ne voir que « ce qui est strictement nécessaire » dans le domaine de la surveillance sans instaurer une loi .
Cette loi est pourtant le seul moyen qui permettrait d’éviter que des dysfonctionnements ne se renouvèlent. Actuellement, l’OFAS ne peut que décider des hausses de primes mais ne peut pas intervenir pour les faire baisser si elles sont excessives !
Le cas d’ASSURA
Cette assurance pratique une sélection des risques très performante. Elle utilise le système du tiers garant. Les assurés doivent d’abord payer leurs médicaments à la pharmacie et se faire rembourser ultérieurement. Bien entendu, un malade chronique ou un assuré à la santé fragile se gardera bien de signer un contrat avec une assurance qui ne connaît pas le tiers payant pratiqué par la majorité des caisses. Ce qui explique que cette assurance qui offre des primes plutôt basses par rapport aux autres n’en subit pas les habituels dommages. En général, un tel modèle ne survit pas plus de 5 ans. En effet, un afflux massif d’assurés tentés par des primes basses pose un problème de réserves qui doivent être reconstituées pour chaque nouvel assuré.
Or, ASSURA ne connaît pas cette difficulté. Le tri très strict des risques lui permet de se créer une marge significative par assuré qui refinance en peu de temps les réserves. On peut donc en conclure que les primes d’ASSURA sont encore trop élevées. Eh bien, le Tribunal fédéral a remis à l’ordre la Confédération qui voulait exiger une baisse. Impossible de l’ imposer avec la loi actuelle. D’où l’importance d’une loi de surveillance.
Le lobby des caisses fait des ravages
Représentants des caisses maladie et autres politiciens qui conseillent les caisses se sont rués à la tribune ce même 5 mars pour descendre en flamme l’initiative de la caisse publique. L’importance qu’ils ont ainsi donnée à ce combat montre combien ils craignent d’y perdre des plumes. L’UDC Giezendanner , membre du conseil d’administration de KPT s’est exclamé qu’il s’agit d’une assurance socialiste : « le socialisme laisse des traces dans le monde entier et après c’est à nous de soutenir les pauvres. » L’UDC Jean-Pierre Grin s’est effaré à l’idée que le changement ne pourra se réaliser en un jour. L’UDC Celine Amaudruz a relevé que la concurrence « a permis de bons prix à la population » Selon elle, la hausse des primes vient du catalogue des prestations et pas des assureurs. Martin Candinas PDC et dirigeant d’Helsana prétend que « l’innovation va passer à la trappe. »
Ce qui a en fait passé à la trappe- sans étonnement- c’est l’initiative qui a été refusée par 124 non, 61 oui et 2 abstentions. Le peuple, les yeux grand ouverts sur la réalité du lobby et de la politique des assureurs, décidera cet automne.