Interview de Marc Vuilleumier
Ta démission de tes fonctions de Directeur de Police n’a pas toujours été bien comprise dans le public. Pourrais-tu t’expliquer là-dessus ?
En réalité, des gens dans la rue me disent plutôt «Je vous comprends». Mon dicastère comprenait quatre lourds problèmes de société : la vie nocturne avec ses débordements, l’augmentation des délits contre le patrimoine, la mendicité et le trafic visible de drogues. De plus, au niveau de la police, la situation s’est dégradée, et pas seulement à Lausanne. Or j’ai senti peu d’intérêt à résoudre ces problèmes ensemble. En revanche, j’ai entendu un peu trop de leçons du type «y a ka». Vu tout cela, je ne me suis plus senti la capacité de diriger de manière sereine la Police. C’est une décision que j’ai prise sans plaisir, car j’étais attaché au travail de la Police et à son personnel, qui m’a adressé pas mal de mails de sympathie. Mais je n’ai pas «démissionné» de quoi que ce soit. Mon dicastère a été réorganisé.
Précisément, on entend parfois dire qu’il te reste un mini-dicastère…
C’est faux. Avant, j’avais un très gros dicastère, maintenant j’en ai un qui est normal. En contrepartie, j’ai été chargé de trois dossiers. D’abord toute la politique de l’immigration et de l’intégration : information aux immigrés (qui représentent 41% de la population lausannoise !) sur leurs droits et devoirs, permanence juridique, soutien à leurs associations, Journée du Réfugié, semaine contre le racisme, etc. La catégorie «immigrés» concerne aussi bien les ingénieurs allemands travaillant à l’EPFL que les immigrés clandestins. Cela me met en contact avec beaucoup de gens de condition modeste, ce qui va dans le sens de mon appartenance au POP.
Deuxièmement – autre nouvel aspect de mon dicastère – je m’occupe des contrats de quartiers, qui ont abouti à une démarche participative à Montelly. Les centres de décision économiques et politiques s’éloignent de plus en plus des gens. Il est donc bon d’inciter les citoyens à être acteurs de la vie de leur quartier : par exemple par la création de jardins familiaux ou de centres de rencontre. Un autre contrat sera élaboré dans un nouveau quartier qui sera désigné ces prochaines semaines.
Enfin j’ai en charge le Service des assurances sociales (AVS, prestations complémentaires, aide individuelle au logement, etc.) Là aussi, je retrouve les bases de mon engagement associatif dans l’Avivo. C’est cet engagement social qui a abouti à mon entrée au POP.
Quelle analyse fais-tu de ta présence à la tête de la Police ? Quel bilan en tires-tu ?
J’ai fait accepter par le Conseil communal le concept de police urbaine de proximité, qui repose sur quatre piliers : visibilité (par exemple des patrouilles à pied dans les rues), rapidité, connaissance des quartiers, partenariat avec les associations ou institutions : écoles, discothèques, CHUV, commerçants, sociétés de développement de quartiers, etc. Je suis par exemple content du processus qui a abouti au centre sportif de Praz-Séchaud. On est parti de plaintes d’habitants par rapport à la délinquance et aux incivilités de certains ados. La Police a fait son travail. Puis on s’est réuni avec tous les acteurs du quartier, individus et associations. De là est né un club de football, qu’on a aidé à plusieurs niveaux. Qu’est-ce qu’on constate aujourd’hui ? Une nette diminution des incivilités et un meilleur lien social. Ce quartier – qui compte le plus de jeunes de moins de 20 ans et beaucoup d’immigrés – s’est approprié une nouvelle identité.
Deuxièmement, il y a la charte éthique et le code de déontologie qui permettent de mettre le travail de la Police dans un certain cadre. Ce concept a été récemment confirmé par le nouveau municipal en charge de la Police. Et, sous ma direction, il a été demandé d’augmenter les effectifs de 70 unités.
Enfin, chaque fois qu’il y a eu des plaintes de comités de quartiers ou d’associations de commerçants, nous avons engagé le dialogue, organisé des réunions pour discuter des problèmes et prendre des mesures.
Quels sont les gros chantiers de ton nouveau dicastère ?
Il y a d’abord les projets sportifs de Métamorphose : piscine olympique, terrain de football, stade d’athlétisme, souvent à usage du plus grand nombre. Egalement la poursuite de la rénovation des bains de Bellerive, cet espace emblématique de la première municipalité de gauche lausannoise 1934-1937. Avec l’ouverture de la piscine en mai 2013, il y aura également l’inauguration d’équipements pour l’accueil des petits enfants.
Nous procédons aussi à une redéfinition de la politique d’intégration de la ville. Par exemple, à la veille des scrutins, un «bus citoyen» va sillonner les quartiers pour inciter les gens, suisses ou immigrés, à aller voter. Or, pour la première fois, la politique d’intégration a été contestée au Conseil communal par une partie de la droite, celle-là même qui ne cesse de dénoncer la dégradation de la qualité de vie à Lausanne. Chacun doit avoir sa place dans la ville.
Nous mettons aussi en œuvre une pacification de la vie nocturne, qui est notamment du ressort de la Police du commerce. Cela par plusieurs mesures, comme la modification des heures de police et une augmentation du professionnalisme des tenanciers de discothèques.
Une question plus locale. La fermeture du petit ski-lift du Chalet-à-Gobet a été mal perçue par une partie de la population. N’était-ce pas là un bon exemple de sport populaire, notamment pour les familles avec enfants ne pouvant pas s’offrir des vacances en station ?
C’est incontestablement une prestation en moins, que je regrette. Mais il faut relativiser. Chaque dicastère a dû proposer des mesures d’économies. Or, cette saison et jusqu’à ce jour, le ski-lift aurait pu être utilisé deux fois. Cela ne justifiait plus un poste de travail. Et cela touchait beaucoup moins de monde que par exemple la fermeture d’une piscine de quartier.
En conclusion, il est important que le POP apporte sa touche originale dans les exécutifs, en trouvant des solutions pour les problèmes quotidiens des milieux populaires sans visée carriériste.
Propos recueillis par Pierre Jeanneret