paru dans le journal solidaritéS du 11 octobre 2007

Force est de constater que les récentes campagnes de l’Union Démocratique du Centre (UDC) ont provoqué des réactions d’indignation tous azimuts. Ces prises de position face au discours populiste et xénophobe de l’UDC sont évidemment bienvenues et même salutaires. Il nous apparaît cependant important de nous interroger sur le sens, la qualité mais aussi la portée de ces messages d’indignation.

Certains mouvements de gauche ainsi que quelques associations pensent actuellement pouvoir ramener une certaine dose de conflictualité politique au sein de la société suisse en la mobilisant sur le thème de l’antiracisme. L’histoire récente devrait toutefois leur servir de grille d’analyse : un aperçu de la situation française se révèle à cet égard très éclairant. Pendant des années, dans l’Hexagone, la gauche et des associations comme SOS racisme ont tenu un discours unanimiste sur le mode du « Tout sauf Le Pen » ou « Le Pen facho, le peuple aura ta peau ». Ces slogans, qui témoignent d’une critique moralisante et volontiers « éthique », n’aident en rien à l’identification des maux de la société et s’avèrent en définitive parfaitement dépolitisants. Ainsi les argumentaires sur le respect des différences: consensuels, ils cachent à merveille des aspects aussi essentiels que les rapports de force, les inégalités, la répartition des richesses… Suivant ce raisonnement, il n’y aurait plus d’inégalités, seules les discriminations subsisteraient. Or ne sont-ce pas les inégalités que subissent les populations précarisées qui produisent les discriminations ?

Par ailleurs, la rhétorique antiraciste, déjà improductive, peut même devenir contre-productive. De tels discours, bien-pensants, en générant l’union sacrée contre Le Pen que l’on sait, n’ont pas empêché, au contraire, la présence de ce dernier au second tour de l’élection présidentielle en 2002 ; et ils ont même facilité l’élection triomphale de Sarkozy à la Présidence de la République cinq ans plus tard. Malheureusement, en Suisse, la critique de l’extrême droite prend actuellement une tournure identique : l’unanimité étouffante est de mise. L’extrême gauche appelle ainsi à manifester à Berne, le jour de l’élection du Conseil fédéral, contre la reconduction de Blocher à l’exécutif fédéral. Nous attendons déjà les slogans « Touche pas à mon pote », « Tout sauf Blocher »… Il est vrai qu’un second Hans-Rudolf Merz serait bien meilleur que Blocher pour les habitants de ce pays…

Veillons donc à ne pas court-circuiter la contestation du capitalisme par un antiracisme qui, bien souvent, apparaît aussi « mou » et consensuel qu’un certain discours sur l’écologie ! La gauche sait pourtant bien que la xénophobie de l’UDC sert essentiellement d’écran de fumée pour renforcer l’ordre bourgeois et capitaliste. Cependant, elle est aujourd’hui bien trop éloignée des réalités des classes dominées pour produire une réponse audible et efficace à la propagande réactionnaire de l’UDC. Cet éloignement est compensé dans les partis de gauche par la recherche d’un électorat de classe moyenne, « bobo »: les socialistes courent après l’électorat des Verts, qui eux-mêmes chassent des voix au centre droite; une grande partie de l’extrême gauche, enfin, se gargarise d’un discours élitiste destiné uniquement à son petit groupe d’amis possédant un capital culturel semblable.

Alors, quelle attitude adopter ? Renforcer la norme pénale antiraciste ? Cette solution entraîne les personnes désorientées à se réfugier dans la théorie du complot et à grossir les rangs de l’extrême-droite. Rappelons ici encore une fois que le « politiquement correct » demeure totalement contre-productif. Ainsi, aux Etats-Unis, lorsque des manifestations d’extrême-droite sont interdites par les autorités, ce sont les associations antiracistes qui s’indignent au nom de la liberté d’expression…

Aussi, pour contrer la « blochérisation » de notre société, il est impératif de ne pas se réfugier dans la bien-pensance. La gauche devrait au contraire devenir plus combative et mettre à jour publiquement la volonté sous-jacente au discours de l’UDC que sont le démantèlement social et la défense des riches contre les pauvres. Utilisons au contraire les polémiques suscitées par la campagne de ce parti pour imposer nos propres sujets de préoccupation ! Lutter uniquement pour l’antiracisme et vouloir durcir les normes pénales concernant l’expression de la xénophobie, c’est aussi suivre un agenda politique fixé par le parti d’Ueli Maurer.

Philippe Somsky, Jean-Baptiste Blanc